Séisme à Haïti : ce que j’ai vu dans le Sud

Publié le 26.08.2021| Mis à jour le 12.01.2022

Colette Lespinasse est le point de liaison en Haïti de la Coordination Europe Haïti (COEH) dont fait partie le CCFD-Terre Solidaire. Elle est allée dans le Sud de l’île pour constater l’étendue des dégâts et des besoins. Nous avons été très touchés par son témoignage qu’elle nous a autorisé à publier ici

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Les mercredi 18 et jeudi 19 août 2021, je me suis rendue dans le département du Sud d’Haïti très affecté par le tremblement de terre du 14 août 2021 pour rendre visite à quelques amis et collègues qui habitent dans cette région.

Je voulais être aussi présente sur les lieux pour voir de mes yeux ce que de nombreux médias ne cessaient de rapporter sur les conséquences dramatiques de ce séisme qui venait de ravager la péninsule Sud.

Se rendre dans le Sud en venant de Port-au-Prince, la capitale, n’est pas chose facile. Il faut traverser une zone interdite, Martissant, la sortie Sud de la capitale contrôlée depuis plusieurs mois par des groupes armés.

Ce mercredi, ils ont décidé de faire une trêve et les gens se sont empressés de traverser cette forme de frontière au sein de la ville afin d’aller rejoindre leurs familles.

Quand on s’approche des villes du Sud, on peut déjà constater les dégâts avec des éboulements de pierres qui jonchent les voies, obstruant encore partiellement le passage, des pans de montagnes qui ont glissé, des rues fendues, des arbres déracinés par le mouvement violent de la terre…

Des écriteaux placés au beau milieu de la route par des riverains indiquent que dans cette zone, il y a aussi des victimes avec des besoins, et qu’il ne faut pas les ignorer.

La majorité des victimes sont dans les zones rurales

A l’entrée de la ville des Cayes, un embouteillage monstre avec des véhicules de parents qui viennent apporter un peu d’aide et de réconforts à leurs proches ou de camions remplis d’aide qui essaient de rejoindre un bureau.


J’ai vu, et j’ai compris un peu la profondeur de la crise que nous sommes en train de vivre en Haïti, faute de politique publique en faveur de la population.

Ici et là, des maisons complètement aplaties, d’autres endommagées avec des fissures profondes, d’autres qui tiennent encore debout, intactes, malgré la force des répliques incessantes.

Parmi les 2,000 morts enregistrés, le département du Sud accuse plus de la moitié. On parle de 500 décès pour les Cayes et tout le monde a compris qu’il s’agissait seulement de la ville qui porte ce nom. Ce qui explique pourquoi c’est dans ce lieu que se dirige d’abord l’aide.

Mais faux. La majorité des décès se trouve dans les sections communales, qui sont pour la plupart des communautés rurales. Et quand on mentionne les Cayes, il s’agit de toute la commune incluant bien sûr la ville aussi.

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On n’a pas encore fini de compter les blessés et les morts. Des personnes vivantes sont retrouvées sous les décombres cinq jours après le tremblement de terre.

Ici, à l’hôpital de l’OFATMA, on observe le va-et-vient incessant d’hélicoptères qui remplissent l’espace de leur vrombissent assourdissant.

Dans cet hôpital fissuré, les blessés sont triés sur la cour et les plus graves sont transportés vers d’autres centres hospitaliers du pays à travers ces hélicoptères mis à la disposition d’Haïti par les gardes-côtes américains.

Un peu plus loin, c’est le bureau de la Direction départementale de la Protection Civile, qui devrait représenter le centre nerveux des opérations. Les véhicules tout-terrain des humanitaires y font le va-et-vient et les réunions interminables.

Mais on n’a pas l’impression que quelque chose de grand bouge réellement dans ce lieu quand on tient compte de l’ampleur de la catastrophe.

Brusquement, un leader politique fait son apparition, flanqué de motocyclettes et véhicules qui le suivent et de caméras qui filment son show.

Il est venu, dit-il, rendre visite aux victimes. Mais tout laisse croire que derrière tout cela se profile une sorte de campagne politique.

Aux Cayes et à Camp-Perrin (une autre commune proche), quelques tracteurs s’activent pour démolir des édifices effondrés afin d’y rechercher d’éventuels survivants ou en retirer les corps qui commencent déjà à se décomposer.

Durant les deux premiers jours après le séisme, sans équipe de secours, c’est la population, avec les moyens du bord qui a sorti les survivants et aussi plusieurs morts sous les décombres.

Dehors, notamment dans les sections communales, le peuple souffre et attend désespérément de l’aide, surtout une bâche ou une tente pour pouvoir s’abriter le soir.

Les familles dorment dans la rue

Le lendemain du tremblement de terre, soit le 15 Août 2021, les sinistrés ont vécu une grande averse en raison du passage de la tempête tropicale Grace.
Le soir, il est très difficile de circuler dans les villes, car les rues servent désormais de dortoirs.

En raison des répliques incessantes, les gens qui ont encore une maison debout ont peur d’y entrer. Mais la plupart n’en ont plus. Certaines communautés sont détruites à plus de 80% selon les observations sommaires.

Aussi, c’est à même le sol que les membres des familles jettent le soir un morceau de carton ou un drap pour pouvoir s’allonger et dormir un peu.

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Pour atteindre le lieu où j’allais passer la première nuit mercredi 18 aout à Aquin, j’ai dû réveiller plusieurs personnes de leur sommeil afin de dégager un peu la route et laisser passer le véhicule qui transportait des matériels médicaux, un peu de médicaments et de la nourriture pour mes proches et la brigade cubaine qui s’active dans cette ville à prendre soin des blessés.

J’ai noté que la grande majorité des maisons qui n’ont pas résisté au séisme sont récentes, même si certaines anciennes constructions en béton ou en structures confectionnées avec des matériaux légers se sont aussi écroulées.

Il est clair, qu’il y a un grand travail à faire en Haïti pour que les constructions se fassent de manière différente.

La résistance on non des maisons au choc du tremblement de terre est révélatrice du niveau de respect des normes de base en matière de construction dans un espace comme Haïti très vulnérable aux aléas naturels comme les tremblements de terre, les cyclones, entre autres.

Malgré la douleur palpable sur les visages, j’ai constaté que la vie reprend petit à petit son cours. Des marchandes de nourritures cuites s’activent déjà à préparer à manger, des étalages se forment pour offrir encore le peu qui restait d’un stock sauvé des décombres, des paysans vont faire paître leurs animaux…

Des femmes prennent soin des enfants, lavent le linge, des hommes retirent quelques débris des décombres pour essayer de forger pour la famille un abri de transition.

Les gens n’ont pas le choix. Ils doivent se remettre debout pour survivre, car ils n’attendent pas grand-chose de l’Etat et ne peuvent pas compter sur l’aide des ONG qui tarde à venir ou qui ne viendra pas.

En cinq ans, c’est la seconde fois que le Grand Sud d’Haïti est frappée par une catastrophe majeure. En octobre 2016, c’était le passage de l’ouragan Matthew qui avait gravement endommagé toute cette région.

Après avoir enregistré deux tremblements de terre majeurs (7.2 sur l’échelle de Ritcher) dans l’intervalle d’une dizaine d’année et subi la violence de plusieurs ouragans, Haïti doit repenser son système de construction, l’aménagement de son territoire, la gestion des risques et désastres dans une perspective de meilleure protection de sa population.

Les catastrophes enregistrées à chaque fois ne sont pas naturelles mais plutôt le résultat de mauvaises politiques et surtout d’un grand manque d’attention pour la population et pour la fragilité de cette île traversée par de nombreuses failles et sur le chemin des cyclones.

Après cette nouvelle catastrophe et un contexte politique extrêmement difficile et volatile, le peuple haïtien trouvera-t-il encore la force nécessaire pour se relever ?

Colette Lespinasse
Depuis Haïti

Crédits photo :Iteca

avec le CCFD - TERRE SOLIDAIRE

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