Accueillir : une volonté politique et citoyenne

Publié le 22.09.2023

À Villeurbanne, ville de 150 000 habitants, on sait ce qu’accueillir veut dire. Au travers d’engagements et d’initiatives, la municipalité, labellisée « Ville accueillante » depuis 2019 et membre de l’Anvita, association alliée du CCFD-Terre Solidaire, s’engage concrètement pour un accès digne à la ville aux personnes en situation d’exil et de précarité. Reportage sur ce que signifie remettre l’hospitalité à l’agenda politique.

À peine franchie la porte d’entrée de L’Archipel, des effluves culinaires chatouillent les narines. Malgré la chaleur, Shorena s’active entre le four et les plaques. « Je viens ici trois fois par semaine, c’est le seul endroit pour cuisiner, sinon on fait réchauffer ce qu’on peut dans le micro-ondes de l’hôtel », raconte, plongeant des aubergines dans l’huile frémissante, cette Géorgienne sans-papiers dans un français hésitant. En France depuis cinq ans, Shorena est hébergée à l’hôtel avec son mari et leurs trois enfants, dont le dernier est en situation de handicap.

Situé en plein centre de Villeurbanne, commune qui jouxte Lyon, ce tiers-lieu a ouvert ses portes fin 2022 dans l’objectif de lutter contre la précarité alimentaire. « La Cantina propose six cuisines partagées à destination des familles hébergées dans des hôtels de la métropole de Lyon en attente de régularisation », explique Judith Le Mauff, coordinatrice du projet porté par l’association Le Mas (Mouvement d’action sociale) implantée à Lyon depuis 1961. Financé en partie par le plan France Relance de l’État, L’Archipel propose aussi un café associatif ouvert à tous.

Un terreau fertile

« Ce lieu incarne parfaitement la politique d’hospitalité que Villeurbanne met en œuvre. L’Archipel est proche du métro, de la mairie, d’une grande bibliothèque ; au cœur de la ville, on propose un espace pour les personnes en difficulté, mais aussi pour tous les habitants du quartier. » Antoine Pelcé a vu naître L’Archipel. Il est élu chargé de l’habitat des personnes âgées, de la lutte contre le sans-abrisme et de la politique d’hospitalité depuis 2020. Militant sur ces thématiques, il est devenu l’une des chevilles ouvrières de la démarche « Accueillir à Villeurbanne » initiée en 2018 par un jury citoyen instauré par l’équipe municipale précédente. Dix jurés volontaires, dont Antoine Pelcé, et seize autres tirés au sort se sont mis à construire des propositions pour améliorer l’accueil à ­Villeurbanne. Embauche d’une chargée de mission sur la question du sans-abrisme, mise en place d’une équipe mobile pour informer sur l’accès aux droits, multiplication des bains-douches pour les personnes vivant à la rue

« Certaines propositions du jury se sont concrétisées en 2020 avec la nouvelle équipe municipale, mais la Ville avait déjà un engagement fort sur les sujets liés à l’hospitalité. Le jury citoyen lui a donné une légitimité politique pour dire à tout le monde : “Regardez, quand on accueille à Villeurbanne ça se passe bien !” » explique l’élu.

« Cela a aussi été possible, car le terreau est fertile ; il y a une longue tradition d’accueil à Villeurbanne », a constaté Lison Leneveler, autrice d’une thèse en droit public sur l’accueil des personnes exilées à Villeurbanne1, après des mois passés sur le terrain. « C’est une ville populaire d’immigration depuis toujours, abonde Antoine Pelcé doigt tendu vers le ciel. Vous voyez ces gratte-ciel ? Ils accueillaient par exemple toutes les populations ouvrières et populaires dès 1930, et aujourd’hui ce sont des logements sociaux. »

L’échelon municipal est le premier espace des personnes exilées

Lison Leneveler, autrice d’une thèse sur l’accueil à Villeurbanne

Dans cette continuité, en 2015, Villeurbanne a été l’une des premières villes volontaires pour accueillir des personnes en situation de migration lors de l’évacuation de la « jungle » de Calais. Quatre ans plus tard, elle a intégré l’Association nationale des villes et territoires accueillants (Anvita)2 alliée du CCFD-Terre Solidaire, concrétisant la préconisation du jury citoyen de rejoindre le mouvement. « Nous avons rencontré les élus de Villeurbanne dans une volonté de travailler en transversalité : ils souhaitaient restructurer des services, faire un état des lieux du tissu associatif sur la question du sans-abrisme et donner une dimension plus importante à la citoyenneté locale et à l’accès aux droits », se souvient Léa Enon-Barron, codirectrice nationale de l’association.

Transformer le droit

« De fait, l’échelon municipal est le premier espace d’arrivée des personnes exilées. Villeurbanne est l’exemple emblématique de ces communes qui mettent en œuvre des initiatives concrètes pour mieux accueillir les personnes en situation de migration en vue de pallier les carences de l’État. Cela passe notamment par l’autosaisissement d’outils juridiques qui existent, mais sont trop peu explorés lorsqu’il n’y a pas de volonté politique », complète la chercheuse Lison ­Leneveler qui parle d’une « compétence communale de fait ».

La carte de citoyenneté locale est un autre outil à expérimenter dont les élus se sont emparés très récemment. Inspirée des sanctuary cities états-uniennes3 – villes qui appliquent une politique de protection des immigrés en situation irrégulière –, cette carte municipale permet à toute personne vivant sur un territoire d’avoir accès aux services publics. « La nationalité n’est pas notre sujet ; tous les “habiteurs” et “habiteuses” d’un quartier, c’est-à-dire des habitants qui ont des habitudes, ont le droit de vivre dignement. Or, aujourd’hui, le constat politique est qu’il n’y a pas d’égalité d’accès aux droits pour les personnes exilées », explique Antoine Pelcé. « Pour nous, la carte n’est pas une fin en soi, mais un objet symbolique pour avancer sur une politique d’hospitalité. Elle protège aussi les personnes sans papiers grâce à un numéro de téléphone à composer pour mobiliser des gens si une arrestation se déroule mal », poursuit l’élu.

Shorena, hébergée à l’hôtel depuis trois ans, profite des cuisines de La Cantina trois fois par semaine.

Photo Clémentine Méténier

Reconnaissance de l’engagement bénévole

Pour John Carron, animateur de la Maison Sésame, un tiers-lieu du Secours catholique dans le quartier Grand-Clément à Villeurbanne, qui accompagne des personnes exilées, « il faut aussi que cette carte nous permette d’aborder la question de la valorisation et de la reconnaissance de l’engagement bénévole ».

En effet, de nombreuses personnes qui, faute de papiers, ne peuvent pas travailler, s’investissent au quotidien dans les associations qui font vivre le territoire. « C’est une idée très intéressante, et cette carte grandira en ambition au fil du temps », réagit Solène de Chavigny, responsable de l’animation du réseau de l’Anvita. Une première version de cette carte de citoyenneté locale sera dévoilée lors de la Biennale de l’hospitalité à Lyon qui se déroulera du 13 au 23 octobre 2023. En attendant, l’heure est au plaidoyer. « L’enjeu à long terme de notre mission d’hospitalité est de transformer le droit : droit au travail, droit au logement, etc. », conclut l’élu.

Une évidence, pour la juriste Lison Leneveler : « La réalité d’une ville accueillante, c’est aussi celle de ne pas se dédouaner : affronter les questions qui fâchent, notamment les conflits sur l’espace public laissant une place à chacune et chacun, de façon à les reconnaître dans la société locale, et réfléchir ensuite. Villeurbanne est bien partie ! »

Clémentine Méténier

À lire et écouter

1- Thèse de Lison Leneveler « L’accueil des personnes exilées, la fabrique d’une compétence communale, le cas de Villeurbanne, 2015-2022 »

2- L’Anvita rassemble des collectivités territoriales, groupements de collectivités et élus qui œuvrent pour des politiques d’accueil inconditionnel incluant les publics exilés, et pour l’hospitalité sur leurs territoires.

3- « Villes sanctuaires » ou « villes refuges ».

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