Minerais du sang : un règlement européen en vue, encore insuffisant

Publié le 25.03.2015| Mis à jour le 08.12.2021

Henri Muyiha est secrétaire général de la Commission épiscopale pour les ressources naturelles (CERN). Cette commission ad hoc a été créée en 2007 par la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), et sensibilise de la base au sommet pour une meilleure gestion des mines et des forêts en République démocratique du Congo (RDC).
A l’occasion de sa visite en France, il revient, avec la chargée de mission Morgane Laurent, sur le plaidoyer en cours auprès de la Commission européenne, en vue de l’adoption d’une législation contre « les minerais du sang » et sur le contexte de la région des Grands Lacs.
Entretien croisé.


Où en est le plaidoyer au niveau européen contre les « minerais du sang », ces minerais dont l’exploitation et le commerce sont susceptibles de financer et d’alimenter les conflits, et les violations des droits humains?

Morgane Laurent : Un projet de règlement de la Commission européenne a émergé en mars 2014 sur l’approvisionnement responsable en minerais depuis les zones de conflit ou à haut risque. Un vote est prévu en Commission du commerce international pour la mi-avril, avant un vote en plénière du Parlement européen prévu pour le mois de mai 2015.
La société civile européenne et les partenaires qui sont sur le terrain comme le CERN jugent le texte très insatisfaisant, pour trois raisons :

  • D’abord, le texte en l’état actuel reste non contraignant. Il préconise un mécanisme volontaire pour les entreprises, qui peuvent choisir ou non de faire la lumière sur leur chaîne d’approvisionnement.
  • Ensuite, ce texte est très restreint au niveau de son champ d’application. Il concerne trop peu d’entreprises et de ressources – étain, tantale, tungstène et or. Nous recommandons d’inclure le cuivre et les pierres précieuses qui posent problème en Birmanie par exemple.
  • Ne sont concernées que les entreprises qui importent ces minerais sous forme brute, et sont exclues du projet de règlement toutes les entreprises qui importent des produits finis tels que les téléphones portables contenant ces minerais et les mettent ensuite sur le marché européen.

Comment orientez-vous le plaidoyer européen?
Nous visons les eurodéputés, de manière à influencer le Parlement, en coordination avec les organisations européennes mobilisées. Chacun dans son pays va influer sur les eurodéputés ciblés, qui appartiennent à trois commissions parlementaires impliquées sur le projet de règlement sur les minerais des conflits (Commerce international, Affaires étrangères et Développement).
Les bénévoles du CCFD-Terre Solidaire ont interpellé les députés, pour demander un règlement plus ambitieux, comme nous l’avons préconisé dans notre rapport publié en octobre.
Les bénévoles ont aussi été voir les évêques pour leur demander leur soutien. Une déclaration a été signée par 135 évêques de 37 pays, dont 20 en France.
Elle nous permet d’interpeller des eurodéputés qui sont plus au fait des questions de commerce que celles des droits humains.
Un autre volet du plaidoyer porte sur le gouvernement français. Le CCFD-Terre Solidaire est engagé dans un plaidoyer auprès du gouvernement français, avec Amnesty International, Sherpa et d’autres ONG, pour pousser les autorités à prendre des positions fortes contre les minerais du sang.

Que reste-il à faire, en RDC et en Europe, pour que les choses changent durablement ?
Henri Muhiya : En plus de cette réglementation européenne, il faut soutenir les réformes en RDC pour rétablir l’autorité de l’Etat sur tout le territoire et mettre un terme aux conflits. Ensuite, nous pourrons voir comment faire en sorte que ces ressources profitent au développement des régions d’où elles sont tirées – dans la transparence générale. Il faudra aussi apporter l’électricité près des mines, pour mécaniser les puits et les rapprocher des centres de négoce et de traitement des minerais. En encadrant et en développant le secteur, on pourra réduire les fraudes et les « pertes » actuelles de minerais entre les puits et les centres de traitement et de négoce.

Morgane Laurent : Pour nous, l’objectif à court terme porte sur ce projet de règlement européen. Le plaidoyer continue. Un travail doit être fait pour sensibiliser les médias et la population en France.
Il faut aussi envisager comment la France et l’UE peuvent appuyer les dispositifs déjà existants de certification des mines.
Il est en effet nécessaire d’encadrer les sociétés qui opèrent en eaux troubles dans ces régions. Ainsi, une société canadienne comme Alphamines, qui opèrent dans le Nord Kivu, traîne un lourd passif dans ses liens avec les communautés sur place : elle est accusée d’avoir eu recours à des acteurs armés pour sécuriser la mine, qui se sont livrés à des exactions.
Pour les sociétés française et européennes, nous demandons également à nos gouvernements d’encadrer les entreprises, quand elles vont s’installer dans des zones de conflit ou à haut-risque. C’est par exemple le cas de Total qui a obtenu un permis d’exploration près du parc national des Virunga en Ituri.
D’autre part, se pose la question de la cohabitation entre les entreprises industrielles et les mineurs artisanaux. Des mesures d’accompagnement du secteur devront être mises en place pour favoriser le développement et permettre la meilleure redistribution possible des richesses produites.
Nous agissons donc ici, en France et en Europe, et nous appuyons en RDC nos partenaires qui travaillent sur ces thématiques – et notamment dans le plaidoyer sur le code minier.

Pour en savoir plus : Un contexte sécuritaire complexe
Les nombreux groupes armés qui sévissent dans la région sont animés par des intérêts économiques, sociaux, politiques et sécuritaires. L’implication du Rwanda et de l’Ouganda, et dans une moindre mesure du Burundi, alimentent l’insécurité. Si les gouvernements de la région reprochent aux autorités de la République démocratique du Congo (RDC) de ne pas assez contrôler son territoire, la responsabilité de ses voisins se pose aussi.

Les rebelles du M23 dans le Nord-Kivu ont été fortement soupçonnés d’être armés et financés par le Rwanda et l’Ouganda et d’être impliqués dans les trafics de minerais (étain et coltan) extraits de cette région de RDC qui leur est frontalière. Depuis leur déroute militaire fin 2013, la situation s’est-elle améliorée sur le terrain ?
Henri Muhiya : On redoute la résurgence du M23, qui pourrait renaître de ses cendres. Des signes inquiétants se multiplient : on enregistre de nombreuses tentatives d’infiltrations de groupes armés depuis le Rwanda ou l’Ouganda. De plus, à de nombreuses reprises, le Rwanda n’a pas semblé vouloir s’impliquer dans les discussions politiques menées notamment par la Conférence internationale sur la région des Grands lacs (CIRGL).
Pour la question des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), ces anciennes milices hutues génocidaires qui se sont réfugiées en 1994 en territoire congolais, et qui donnent toujours un prétexte à Kigali pour maintenir une pression militaire sur l’est de la RDC, directe ou indirecte, l’idée qui prévaut à Kigali est qu’il faut recourir à la force. Pourtant, on peut se demander si la solution est militaire.

Que faut-il pour trouver une solution durable à ces problèmes d’intervention du Rwanda en territoire congolais, en partie pour exporter des minerais extraits du sous-sol congolais via son propre territoire, comme l’ont dénoncé à maintes reprises les Nations unies ?
Tant qu’il n’y aura pas de volonté politique au Rwanda en faveur de la paix et d’un dialogue régional réel, il ne se passera rien. Or, l’opinion publique au Rwanda est alignée sur le pouvoir, muselée. La clé du conflit, c’est l’ouverture politique au Rwanda et un dialogue inter-rwandais pour permettre le retour des milices, une fois désarmées et démobilisées, qui sont actuellement réfugiées en RDC. Leur présence continue de justifier l’intervention militaire du Rwanda en territoire congolais.

Propos recueillis par Sabine Cessou

avec le CCFD - TERRE SOLIDAIRE

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