A quoi ont servi les listes noire et grise de l’OCDE ?

Publié le 05.10.2011| Mis à jour le 08.12.2021

Poudre aux yeux pour les uns, grand succès diplomatique pour les autres : en avril 2009, les listes de l’OCDE suscitaient deux types de commentaires diamétralement opposés. Qu’en penser avec le recul ? Comme souvent, la vérité se situe entre les deux.


En deux ans, 37 territoires ont disparu des listes grise et noire de l’OCDE, blanchis pour avoir accepté de faire un pas vers l’échange d’informations fiscales. Si pour certains d’entre eux, il s’agissait d’une grande première, leur accorder un blanc seing définitif en contrepartie de cet engagement n’était certainement pas le meilleur moyen de maintenir la pression.

Rappel sur les listes OCDE

À la demande du G20 de Londres, l’OCDE se livre à un périlleux exercice de contorsion diplomatique : lister les paradis fiscaux. Épargnant d’emblée les territoires un peu trop connectés politiquement à certains États du G20 comme les îles vierges britanniques ou Hong-Kong ou Macao, les listes publiées le 2 avril 2009 sont au nombre de trois : une liste « noire » des pays qui ne se sont jamais dits prêts à coopérer avec le fisc étranger ; une liste « grise » des pays qui ne s’y sont engagés que par oral (on parle de « territoires non-coopératifs ») ; et une liste « blanche » pour ceux qui ont signé des traités d’échange d’informations avec au moins douze autres territoires à qui ils promettent de communiquer des renseignements en matière fiscale, à la demande.

Espèce en voie de disparition

Le 2 avril 2009, la liste noire compte 4 États, la liste grise 38. Il n’a pas fallu huit jours pour que la liste noire se vide (un engagement oral des quatre États a suffi). Quant à la liste grise, elle a tellement fondu qu’elle ne compte plus, à ce jour, que 5 territoires non-coopératifs pesant pour moins de 0,04 % du marché mondial de la finance offshore (des services financiers aux non-résidents).


Une forte incitation au changement

Il faut mettre au crédit de l’OCDE l’évolution qu’ont opérée, sous la pression, de nombreux paradis fiscaux. Début 2009, l’idée même de communiquer un jour des informations à une administration fiscale étrangère était absolument exclue de la part de certains pays. Singapour, par exemple, refusait même de discuter avec l’OCDE. À présent, plus un territoire ne peut se permettre de refuser d’ouvrir le dialogue à ce sujet. Il n’y en a plus, à ce jour, que 3 (Guatemala, Nauru, Niue) n’ayant signé aucun traité d’échange d’informations fiscales, contre 26 le 2 avril 2009. Environ 420 traités d’échange de renseignements fiscaux (TIEA) ont été signés depuis le G20 de Londres, contre une soixantaine auparavant. Au total, depuis avril 2009, on recense plus de « 700 conventions » qui comportent l’échange de renseignements à la demande selon Jeffrey Owens, directeur du centre de politique et l’OCDE (Forum fiscal mondial). Autrement dit : montrer du doigt des territoires est une stratégie efficace pour les obliger à agir. Reste à savoir si les changements exigés sont satisfaisants.

Une liste blanche trop accueillante

Le critère retenu pour intégrer la liste « blanche » est extrêmement laxiste, permettant ainsi aux principaux paradis fiscaux de se refaire une image « coopérative » à peu de frais :

– les listes OCDE ne s’attaquent qu’au volet fiscal des paradis fiscaux, comme si ces derniers ne constituaient pas aussi des trous noirs pour la justice étrangère et les autorités de régulation financière ;

– les conventions signées n’engagent pas forcément à grand-chose (voir question 3) ;

– le chiffre de 12 est dérisoire alors qu’il existe plus de 242 territoires en capacité de signer des conventions fiscales. Le chiffre communiqué par l’OCDE des 700 conventions signées depuis 2009 est à mettre en relation avec les 29 161 traités bilatéraux qui pourraient potentiellement exister ;

– la faiblesse du critère pour sortir de la liste grise a permis dès le départ d’épargner plusieurs paradis fiscaux notoires (Barbade, Île Maurice, Jersey…) ;

– il a suffi pour de nombreux paradis fiscaux de signer des traités entre eux ou avec des partenaires non significatifs pour atteindre le chiffre de 12, ce qui peut laisser dubitatif quant à l’utilisation qui sera faite de ces traités. Il est probable, par exemple, que l’Italie aurait su faire meilleur usage d’une convention d’échange de renseignements fiscaux avec Monaco que les Bahamas ou le Groenland mais la Principauté a préféré ces deux derniers. Étonnant ? Pas tant que ça quand on observe que sur les territoires « blanchis », seuls 12 n’ont pas eu besoin des autres paradis fiscaux pour atteindre les 12 traités et intégrer la liste blanche.

Un mauvais signal politique

Les faiblesses de ces listes soulèvent plusieurs problèmes :

– L’OCDE étant une des seules institutions internationales à nommer les paradis fiscaux, sa liste sert de référentiel à de nombreux acteurs publics et privés, malgré ses manquements. Par exemple, la France s’en est inspirée pour élaborer sa propre liste de paradis fiscaux et prendre des sanctions à leur égard (surtaxe d’un certain nombre d’opérations financières en direction et en provenance de ces territoires). Seul léger problème : les 18 territoires qui figurent sur cette liste française en 2010 comme en 2011, n’ont jamais pesé plus de 0,2 % du marché mondial de la finance offshore. Pas de quoi alarmer les banques ou les multinationales !

– Une liste incomplète ne fait que déplacer les activités offshore des places critiquées vers celles qui ont réussi à se faire oublier. C’est un argument parfois difficile à vérifier mais dont se saisissent certains paradis fiscaux. Ainsi, la Suisse par exemple ne décolère pas de la clémence du Forum fiscal mondial envers Singapour, alors que selon elle, la plupart des fonds cachés en Suisse s’y seraient réfugiés depuis 2 ans.

– C’est un fait, une fois qu’un paradis fiscal est « blanchi », il ne subit plus vraiment de pression internationale. En 2009, le G20 avait clairement envisagé d’assortir les listes de sanctions, un chantier évoqué timidement par la France au début de sa présidence. Loin de faire l’unanimité, il semble avoir été abandonné.

L’OCDE reconnaît elle-même que la signature des accords n’est que la toute première étape de son action. Elle compte aujourd’hui sur le Forum fiscal mondial* pour évaluer l’effectivité des traités signés et la mise en œuvre de tous les dispositifs nécessaires à la collecte et à l’échange des informations fiscales. Mais les résultats définitifs ne seront disponibles qu’en 2014.

In fine, le pouvoir des listes tient dans la publicité qui leur est faite au plan international. Après la volonté affichée par le G20 à Londres, il était difficile aux pays des listes de l’OCDE de refuser absolument le principe de la coopération fiscale. À Cannes, chacun risque de brandir le nombre de traités d’échange d’informations signés depuis Londres comme la preuve de l’efficacité des actions mises en œuvre. Si le G20 devait se contenter de pareil résultat, les listes n’auraient guère servi qu’à faire croire qu’il a réglé le problème. Ce n’est pas le processus technique de suivi, peu lisible pour le grand public, qui conférera à leur discours la force nécessaire pour faire bouger les lignes (voir question 3). Faute de liste digne de ce nom, faute d’envisager les sanctions correspondantes, les États du G20 se présenteraient à Cannes sans arme face à la finance offshore.

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