Lutter contre l’opacité financière et l’évasion fiscale des entreprises multinationales

Publié le 28.03.2014

Malgré la crise, l’industrie de la fraude et de l’évasion fiscales continue de prospérer. Son chiffre d’affaires, en hausse constante, est proportionnel aux sommes détournées des budgets des Etats européens mais aussi des pays en développement.


Annuellement le manque à gagner en recettes fiscales se compte en dizaines de milliards, en France, et en centaines de milliards au niveau européen. Dans les pays en développement, les dernières estimations de décembre 2013 faisaient état de 950 milliards de dollars de flux financiers illicites sortants annuels, soit 13.7% de plus qu’en 2010 selon Global Financial Integrity (GFI). En pourcentage du PIB, l’Afrique sub-saharienne est la première victime avec une perte de 5.7% en moyenne annuelle.

Les entreprises multinationales sont les premières utilisatrices des paradis fiscaux. Accompagnées par des intermédiaires -sociétés de services financiers, avocats d’affaires, fiscalistes, et cabinets d’audit et de conseils- elles sont à la pointe de l’innovation en matière de contournement de l’impôt.

Quelques chiffres clés

Les 50 premières entreprises européennes disposent en moyenne de 117 filiales chacune dans les paradis fiscaux . Elles ont aux îles Caïman davantage de filiales qu’au Brésil et deux fois plus qu’en Inde. Même la Chine n’attire guère davantage que le Luxembourg. Seulement 60% d’entre elles publient la liste exhaustive de leurs filiales ; les entreprises françaises figurent ainsi notamment parmi les plus opaques. La localisation des filiales du groupe est même impossible dans le cas d’entreprises comme Total.

Des structures de propriété complexes et des millions de sociétés écrans existent dans le monde pour dissimuler l’identité des détenteurs réels de comptes bancaire ou les propriétaires d’une entreprise (34 sociétés par habitant aux Iles Vierges Britanniques, 2.1 au Liechtenstein, 1.7 aux Iles Caïmans ou 1 dans l’Etat du Delaware).
Glencore, un des leaders du commerce des matières premières, aurait fait perdre à la Zambie dont il exploite le cuivre, près de 132 millions d’euros de recettes fiscales pour une seule année, par le jeu d’un gonflement des coûts de production, d’une sous-évaluation des volumes de production, et surtout d’une vente de l’ensemble du cuivre exploité à la maison mère en Suisse à un prix inférieur à celui du marché.

SAB Miller, l’une des principales brasseries de bière du monde, aurait économisé quant à elle autour de 21,5 millions d’euros d’impôts sur l’ensemble du continent africain, soit environ un cinquième des impôts dus ou une somme qui aurait permis de scolariser 250 000 enfants supplémentaires. Si la production de bière de SAB Miller au Ghana était déficitaire, c’est bien parce que l’ensemble des profits ont été envoyés vers d’autres filiales sous le prétexte de rémunérer la marque aux Pays Bas, rembourser un prêt et payer la centrale d’achat à Maurice ou verser des frais de gestion en Suisse.

Analysant les données financières de 1500 entreprises multinationales implantées en Inde, des chercheurs de l’ONG Christian Aid ont ainsi montré qu’en 2010, celles qui avaient des relations avec des paradis fiscaux payaient, sur chaque euro de profits, 30% d’impôts de moins que les autres[[P. Jansky et A. Prats, « Multinational corporations and the profit shifting lure of tax havens », Christian Aid occasional paper n°9,
mars 2013]].

Les avancées

En 2013, quelques grandes avancées ont eu lieu, suite à l’« Offshore Leaks » au niveau international et à l’affaire Cahuzac en France, mais aussi pour tenter de juguler l’asphyxie des ressources budgétaires des Etats et répondre à l’agressivité développée par les entreprises multinationales pour éviter l’impôt à tout prix.

Les annonces concernant l’échange automatique d’informations fiscales, la réforme des règles fiscales internationales pour les multinationales, et la nécessaire transparence des propriétaires réels des entreprises et des structures juridiques opaques de type trusts, reprennent les propositions portées de longue date par la société civile. Reste à les mettre en œuvre efficacement et au service de tous.

Aujourd’hui les nécessaires réformes du système fiscal mondial ne doivent pas oublier les pays en développement, premières victimes de ces mécanismes de pillage des ressources publiques. Alors que les pays riches semblent découvrir les impacts nocifs des paradis fiscaux sur leurs propres économies, il ne faudrait pas que le sort des pays les plus pauvres soit relégué au second plan. Toutes les mesures envisagées pourraient être bénéfiques pour tous à conditions d’être pensées comme telles.

L’inaction vis-à-vis des pays du Sud se révèle par ailleurs nocive y compris pour les pays européens. Ne pas inclure les pays en développement dans ces négociations internationales pourrait encourager certains territoires au Sud à devenir des paradis fiscaux. Après la Jamaïque, conseillée par le cabinet Baker and McKenzie ou le Ghana par la banque Barclays, c’est au tour du Kenya, du Cap Vert ou de la Gambie d’être tentés par une spécialisation dans la finance offshore pour attirer des capitaux et des activités. En laissant le problème simplement se déplacer, les efforts conduits par la communauté internationale seraient alors réduits à néant.

Où en sont les institutions européennes ?

En 2013, l’Union européenne a franchi une étape décisive en adoptant une mesure de transparence comptable pays par pays pour les banques (Directive CRD IV), dans le sillage de la France. Lors du Conseil du 22 mai 2013, les chefs d’Etats européens se sont déclarés favorables à une extension du reporting comptable pays par pays aux autres secteurs d’activité[[Le Conseil a ainsi appelé à « agir rapidement […] pour examiner des propositions d’amendement dans les directives sur les informations non financières et les informations relatives à la diversité, pour les grandes entreprises, afin d’assurer un reporting pays par pays des grandes entreprises »]]. Cependant, cette extension aux autres secteurs d’activité rencontre encore une opposition de certains grands pays européens malgré l’appui de la présidence lituanienne et le soutien du commissaire Barnier.

En matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale, l’Union européenne dispose de nombreux outils législatifs pour faire adopter des mesures plus ambitieuses.

Propositions du CCFD-Terre Solidaire aux candidats aux élections européennes

  • Exiger la transparence comptable pays par pays de la part de toutes les entreprises multinationales, tous secteurs d’activités confondus (liste des entités, effectifs, chiffre d’affaires, impôts sur les sociétés et subventions reçues) et la publication de ces informations. La publication de ces informations est cruciale afin que les administrations fiscales des pays du Sud puissent aussi les utiliser sans passer par des procédures de coopération administrative. Comment ?
    • garantir la publication des informations pays par pays transmises par les banques à la Commission européenne, en application de la directive CRDIV. Etant donné que la loi de réforme bancaire adoptée en 2013 en France prévoit déjà la publication de ces informations par les banques françaises, les données doivent également être publiées au niveau européen pour l’ensemble des établissements bancaires.
    • aller au-delà des banques pour exiger cette transparence de la part de l’ensemble des entreprises et réformer le code des marchés publics pour autoriser l’introduction de critères de transparence fiscale dans la sélection des entreprises.
    • demander à l’OCDE d’élaborer un modèle de reporting pays par pays qui ne se réduise pas à la transmission d’informations aux administrations fiscales mais qui soit bien public.
  • Harmoniser les règles fiscales européennes et internationales via l’adoption de mesures contraignantes relatives à la consolidation des assiettes fiscales pour l’impôt sur les sociétés afin de mieux répartir le droit de taxer entre les pays selon des critères objectifs (effectifs, chiffre d’affaires, etc.). Une telle harmonisation permettrait de réconcilier la distribution de l’impôt avec la géographie de l’activité réelle des entreprises.

avec le CCFD - TERRE SOLIDAIRE

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