Rose Padilha, une vie dédiée aux peuples indigènes du Brésil

Publié le 03.03.2023| Mis à jour le 08.03.2023

Depuis plus de trente ans, Rose Padilha, membre du Conseil indigéniste missionnaire (Cimi) consacre sa vie aux populations indigènes d’Amazonie brésilienne. Elle fait partie de ces femmes inspirantes qui agissent, prennent la parole et se battent pour plus de justice sociale.

C’est en regardant la télévision pour la première fois de sa vie à dix-huit ans que Rosenilda Nunes Padilha décide de défendre les droits des indigènes d’Amazonie. « J’ai vu un reportage sur le massacre des Yanomami dont les terres étaient envahies par des orpailleurs illégaux. J’ai été bouleversée de voir à quel point les droits de ces hommes et femmes étaient bafoués. » La jeune fille cherche à savoir quelles organisations travaillent aux côtés des 900 000 Indiens du Brésil. « À cette époque, il n’y avait que deux possibilités : la Fondation nationale de l’Indien (Funai) et le Conseil indigéniste missionnaire (Cimi, partenaire du CCFD-Terre Solidaire). »

« Rose », comme tout le monde l’appelle, écarte d’emblée la première structure « parce qu’elle était liée à l’État et au gouvernement qui laissaient se perpétrer de telles horreurs. » Elle pousse alors la porte du Cimi de Belém. « Aujourd’hui, je me dis que c’était un peu fou, car je ne savais pas ce que je pouvais y faire ». Trente-deux ans plus tard, l’audace et l’engagement caractérisent toujours cette femme de 56 ans, dont la jovialité et le ton de voix presque chantant tranchent avec le regard direct et profond. Membre du Cimi de l’Acre, Rose Padilha est une personnalité admirée de son entourage et respectée par les Indiens qui la côtoient.

Arrêtez d’acheter du bois, du soja et de la viande de l’Amazonie !

Rose aime répéter qu’elle a eu une enfance heureuse. « J’ai vécu jusqu’à l’âge de 15 ans sans jamais sortir de la Grande Île de Juaba, où je suis née. » Sur cette langue de terre bordée de part et d’autre par le Rio Tocantins, l’un des principaux affluents du fleuve Amazone, Rose, ses trois frères et deux sœurs ont pourtant une vie difficile. Leur père pêcheur était « un homme très honnête », mais aussi dur envers lui même qu’envers ses enfants.

« Il travaillait beaucoup et nous obligeait à en faire de même, se souvient Rose. Durant de longues heures, on devait pêcher, ramasser des crevettes, grimper aux arbres pour cueillir l’açaï… C’était épuisant, mais nous n’avions pas le choix. » Sinon, les cris, voire les coups, pleuvaient sous les yeux d’une mère aimante, mais soumise.

Justice et partage

Rose allait aussi à l’école. En pirogue et en ramant. « Quand la marée était favorable, ça allait. Sinon, il fallait se lever à trois heures du matin pour arriver à sept ! » En théorie, tous les frères et sœurs devaient ramer.

« En pratique, mon frère aîné nous ordonnait de le faire », sourit-elle. D’où les premières rébellions face à l’injustice. « La vie était dure, mais on ne connaissait que ça. Même dans une maison en bois, sans électricité, nous étions heureux. À l’école, pour manger, chaque élève apportait quelque chose et nous partagions. » Une valeur et des conditions de vie qui, sans le savoir, la préparait à vivre un jour avec les Indiens.

Venue en ville pour étudier au lycée, la jeune fille travaille d’abord dans un hôpital géré par des religieuses pour financer ses études. « J’ai commencé comme concierge, puis j’ai travaillé à la pharmacie avant de devenir secrétaire. » Mais quand on lui laisse entrevoir une promotion, elle refuse. « Je ne voulais pas être coincée entre quatre murs ! »

La rencontre avec sœur Rebecca, coordinatrice du Cimi est décisive. « Je lui ai dit : “Je veux travailler avec les Indiens ! Je veux défendre leurs droits garantis par la Constitution de 1988 !” Elle m’a dit que j’étais trop jeune et m’a proposé de devenir religieuse. » Du haut de ses 23 ans, Rose ne se décourage pas. « Je n’ai pas d’expérience, mais je sais ce que c’est de vivre dans un village ! Je veux être liée au Cimi, mais pas être sœur. » Sa détermination finit par convaincre son interlocutrice.

Rose a pris le temps de découvrir notre culture. Elle nous a surtout enseigné que nous avions des droits, notamment celui de vivre sur notre territoire, et nous a aidés à en obtenir la démarcation.

Seu Chiquinho Arara, cacique du peuple Poli Mara

Sa première expérience la propulse au sud du Para, dans un village du peuple suruí, avec des maisons en bois toutes identiques, surmontées de toits de paille. Un poste d’enseignante. « Mon seul souci était d’apprendre le plus rapidement la langue. »

Vie du peuple indigène Kanamari - - 26 et 27 Janvier 2018 - Eirunepe - Mamuri - Bresil
Eric Garault/CCFD-Terre Solidaire

Malgré l’enthousiasme, Rose est traversée de doutes. Et de saudade (« nostalgie ») de sa famille à qui elle rend visite deux fois par an. « Mes parents n’ont pas compris. Mon père me demandait : “Qu’as-tu à y gagner” ? »

De l’importance des mythes

C’est à Tucuruí que sa vie change vraiment. « J’ai découvert la souffrance d’hommes et de femmes dont le territoire a été avalé par les eaux d’un barrage hydroélectrique ». Elle s’initie également aux mythes indigènes qui structureront sa pensée. « Avec ces mythes, je me suis découverte en tant que personne. Ils m’aident à voir et rencontrer le monde, parce qu’ils cherchent une réponse à tout. » Cette découverte la pousse à étudier l’anthropologie, puis les sciences linguistiques. C’est aussi à Tucuruí que Rose rencontre son futur mari, Lindomar, lui aussi anthropologue, de passage. « Avant de partir, il m’a dit : “Je t’aime bien. Je reviens dans un an.” » Et Lindomar est revenu (voir EDM 318).

Lindomar et Rose. Rose et Lindomar. Depuis plus de trente ans, ces deux-là sont inséparables et travaillent au Cimi. Lindomar admire depuis toujours le caractère trempé de son épouse. « C’est une personne très décidée, totalement dévouée à la cause des indigènes et extrêmement courageuse. » Parmi ses souvenirs, il évoque l’entrée en force de Rose au sein du Congrès national. Alors que les parlementaires discutaient un amendement de la Constitution pour limiter la démarcation des terres indigènes. « Elle a bravé les policiers pour pénétrer dans l’édifice avec des indigènes et se battre pour faire respecter leurs droits. »

Les hommages viennent aussi des Indiens. « Parler de Rose – et de son mari Lindomar –, c’est parler de l’histoire de notre peuple et de la conquête de notre territoire, s’enthousiasme Seu Chiquinho Arara, cacique du peuple Poli Mara. Avec son mari, elle a été la première personne à établir un contact avec notre peuple. Elle a pris le temps de découvrir notre culture. Elle nous a surtout enseigné que nous avions des droits, notamment celui de vivre sur notre territoire, et nous a aidés à en obtenir la démarcation. » Des conquêtes qui sonnent comme autant d’actes de résistance dans une Amazonie qui a souffert comme jamais pendant les quatre ans de mandat de Jair Bolsonaro.

Portrait de Rose Padilha, responsable CIMI Amazonie Occidentale, à gauche, avec Seu Francisco Cacique Jaminawa regardant sa bananeraie entièrement calcinée.

Rose Padilha avec Seu Francisco, Cacique Jaminawa, qui regarde avec colère sa bananeraie entièrement calcinée.

Agir avant qu’il ne soit trop tard

« La situation a changé radicalement pendant cette période, soupire Rose. Même s’il a fait des erreurs, comme la construction du barrage du Belo Monte, Lula avançait de manière plus discrète, plus démocratique. Jair Bolsonaro, lui, n’a cessé d’insuffler le mépris et d’encourager la violence à l’égard des peuples indigènes. Il a nié leurs droits. Durant quatre ans, il a causé d’énormes dommages à ces peuples, au Brésil et au monde entier. » Un constat amer qui pousse Rose à lancer un appel : « Arrêtez d’acheter du bois, du soja et de la viande de l’Amazonie ! » Un cri qui se double aujourd’hui d’une forme de résignation.

« Je pense qu’il est déjà trop tard pour sauver l’Amazonie. La seule chose que nous pouvons espérer est que la destruction s’arrête et que la nature se réinvente. C’est notre combat désormais. » Rose y est pleinement investie. Comme elle l’a toujours été.

Jean-Claude Gerez

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