Category:

Le G20 saura-t-il répondre au risque d’une crise alimentaire ?

mars 25th, 2011 by

Et c’est reparti ! Le Mozambique en septembre dernier, l’Algérie, la Tunisie et la Jordanie en ce début d’année ont connu de violentes manifestations, certes nourries par d’autres facteurs, mais dont le déclenchement a été motivé par la hausse des prix alimentaires. La Chine, comme d’autres pays, a dû réagir par une série de mesures sur les prix. Olivier De Schutter, rapporteur spécial des Nations unies, prévenait le 11 janvier : « nous vivons aujourd’hui le début d’une crise alimentaire similaire à celle de 2008 »[[Conférence de presse du 11 janvier 2011]].

L’indice des prix alimentaires de la FAO vient d’atteindre un record[[Global food price monitor de la FAO, du 14 janvier 2011]], dépassant le niveau le plus élevé atteint lors de la dernière crise, en juin 2008. L’augmentation des prix  depuis juin 2010 concerne surtout le blé (+50 %), le maïs (+50 %) et le soja (+34 %), et le riz commence à suivre. La facture d’importation alimentaire est proche du pic atteint en 2008 pour les pays importateurs, et les populations les plus pauvres restent extrêmement vulnérables. Compte-tenu du délai de transmission des prix mondiaux aux marchés locaux, les prix pour les consommateurs (urbains, mais aussi petits agriculteurs non auto-suffisants et  éleveurs) pourraient encore augmenter dans les mois qui viennent. Les pays les plus vulnérables se situeraient au Sahel, dans la corne de l’Afrique, ainsi qu’en Asie centrale.

Dans ce contexte, la priorité donnée par la présidence française du G20 à la lutte contre la volatilité des prix est plus que jamais pertinente, mais constitue également un test de crédibilité et d’efficacité pour l’action du G20. Car jusqu’à présent, les réactions de la communauté internationale à la crise de 2008 n’ont pas donné lieu à des mesures structurelles de relance de l’agriculture ou de régulation des marchés. Aussi incroyable que cela puisse paraître, le principal facteur de la « pause » dans la crise alimentaire de 2008 réside… dans le hasard des cieux, c’est-à-dire la succession exceptionnelle de trois excellentes récoltes au niveau mondial, principalement due à des conditions climatiques favorables.

Les envolées des prix du blé, suite aux incendies en Russie en août 2010, ou aux inondations en Australie en janvier dernier, révèlent à nouveau la scandaleuse réalité : des marchés agricoles livrés aux humeurs des spéculateurs, des stocks de régulation ou d’urgence quasi disparus, des règles commerciales qui ruinent des filières locales par la « libre-concurrence » avec des produits étrangers plus compétitifs ; enfin des pays en développement dépendant des marchés mondiaux à cause d’un sous-investissement dans leur appareil de production agricole.

Pourtant, cette menace d’une prochaine crise alimentaire pourrait paradoxalement faciliter les travaux engagés, et convaincre les pays ou organisations souvent rétifs à toute intervention ou régulation. Les prétentions des pays du G20 à constituer un lieu efficace de gouvernance économique vont être testées à leur capacité à apporter, au-delà de l’urgence, des mesures structurelles de long terme. Les populations les plus vulnérables devront-elles, comme au Moyen-âge, ne voir leur assiette se remplir qu’au gré de la météo ? Ou les pays riches du G20 auront-ils la volonté de venir à bout de la faim, ce qui est techniquement à portée de main ?

Ambroize Mazal,
Chargé de plaidoyer Souveraineté alimentaire au CCFD-Terre Solidaire

Printemps arabe, les promesses et limites

mars 10th, 2011 by

Un vent de révolte et de liberté souffle sur le monde arabe. Mais les changements majeurs qui s’annoncent suffiront-ils à rendre l’espoir à la génération de Mohamed Bouazizi ?

(suite…)

Analyse – Caritas in Veritate

septembre 15th, 2009 by

Une encyclique est un chapitre important dans l’histoire de l’Église et peut-être aussi du monde. La parole du Pape sur les questions sociales est attendue, c’est un événement. Benoît XVI, comme ses trois prédécesseurs, écrit non seulement pour les catholiques mais pour tous « les hommes de bonne volonté. » Aborder une encyclique demande d’avoir trois éléments à l’esprit : l’état du monde au moment où elle est publiée, la situation de l’Église à la même période et la personnalité du Pape qui en est l’auteur.

Dans la ligne de Vatican II et de Populorum progressio

« L’amour dans la vérité » s’inscrit dans la tradition des grandes encycliques sociales et Benoît XVI situe son magistère social dans la ligne de l’enseignement de Paul VI et dans le prolongement de Vatican II : « Le Concile a approfondi tout ce qui appartient depuis toujours à la vérité de la foi, c’est-à-dire que l’Église qui est au service de Dieu est au service du monde selon les critères de l’amour et de la vérité » (n°11). Le premier chapitre est une commémoration chaleureuse de Populorum progressio. Ne cite-t-il pas plus de 40 fois cette encyclique publiée en 1967 pour en souligner la pertinence, l’actualité et la nécessité de l’adapter aux réalités nouvelles ?

Quelques rappels

L’encyclique souligne en premier lieu l’extrême dignité de la personne humaine. Elle montre que si la charité (c’est-à-dire l’amour et non l’attitude paternaliste qu’on discerne parfois dans les œuvres dites de charité) dépasse la justice, elle ne supprime en rien cette exigence : « Qui aime les autres avec charité est d’abord juste envers eux » (n°6). Cette affirmation reprend des propos de Pères de l’Église comme St Ambroise (340-397) ou St Grégoire le Grand (540-604). Benoît XVI fait aussi référence au bien commun : « On aime d’autant plus efficacement le prochain que l’on travaille davantage au bien commun qui répond également à ses besoins réels » (n°7).

Dans le chapitre « Le développement humain aujourd’hui », tout partisan du développement de tous les hommes et de tout l’homme, trouvera de quoi vivifier son action. Le Pape insiste sur les « déséquilibres et les problèmes dramatiques mis davantage en relief par l’actuelle situation de crise ». Il propose un axe central pour toute l’action économique et financière : « La visée exclusive du profit, (…) s’il n’a pas le bien commun comme but ultime, risque de détruire la richesse et d’engendrer la pauvreté. » (21).

Reprenant les accents dramatiques de l’appel de Jean XXIII en 1961 (d’où naîtra le futur CCFD), l’analyse du Pape se fait pressante : « Donner à manger aux affamés » (Math.25) est un impératif éthique pour l’Église universelle… La faim ne dépend pas tant d’une carence de ressources matérielles que d’une carence de ressources sociales, la plus importante d’entre elles étant de nature institutionnelle ». Le cap proposé, l’encyclique fixe clairement la direction : « Le problème de l’insécurité alimentaire doit être affronté dans une perspective à long terme, en éliminant les causes structurelles qui en sont à l’origine. » (27).

Enfin, en soulignant un souci exprimé à plusieurs reprises dans ce texte, le Pape propose une manière de faire : « Tout cela doit être réalisé en impliquant les communautés locales dans les choix et les décisions. » (27). Cette recommandation illustre le principe de subsidiarité, l’un des aspects importants de la pensée sociale de l’Église catholique.

Des accents nouveaux

Benoît XVI appelle à des comportements nouveaux, car « le cadre du développement est aujourd’hui multipolaire » et « la société toujours plus globalisée nous rapproche mais elle ne nous rend pas frères » (n°19). Les paragraphes de 21 à 37 analysent les dysfonctionnements existants et proposent non des « solutions techniques car ce n’est pas le rôle de l’Église » (n°9), mais des orientations d’action.

On peut citer par exemple les migrations, dont le papeparle en termes à la fois exigeants et opérationnels : « Tout migrant est une personne humaine, qui en tant que telle possède des droits fondamentaux inaliénables qui doivent être respectés par tous et en toutes circonstances. » (62). Cette question, ainsi que d’autres abordées par l’encyclique, exigent des réactions tant nationales qu’internationales. Le pape met la communauté des peuples et des nations devant ses responsabilités et appelle à la mise en œuvre d’une véritable gouvernance mondiale : « Pour le gouvernement de l’économie mondiale… pour réguler les flux migratoires… pour arriver à la sécurité alimentaire et à la paix,il est urgent que soit mise en place une véritable Autorité politique mondiale… » (67)

On peut citer aussi la nécessité d’une utilisation éthique de l’outil financier, la microfinance, le sens de la gratuité en économie. Autant de thèmes à approfondir au cœur de l’action.

Quelques regrets

Tout en invitant vivement à sa lecture, on peut tout d’abord regretter que certains passages du texte ne soient pas toujours faciles d’accès.

Même si plusieurs paragraphes sont consacrés à l’écologie et ouvrent la perspective d’une « écologie humaine », dans laquelle l’environnement et la vie font un tout, il est probable que ceux que préoccupe le développement durable seront un peu déçus. Comment penser l’avenir de la planète dans un monde qui connaît tant de bouleversements de toutes natures ? Le concept même de développement n’est-il pas remis en cause aujourd’hui par des « hommes de bonne volonté » ? En tout cas, l’interrogation sur la croissance économique, sa finalité, sa réalisation, semble devoir être approfondie. Le moment n’est-il pas venu pour toutes nos sociétés de faire des choix difficiles à ce sujet ?

De même, certains considéreront que les questions démographiques sont abordées de manière trop étroite, comme si la crainte de voir le respect de la vie bafouée et la sexualité pervertie par l’hédonisme ambiant, empêchait que soient sérieusement traités les problèmes d’éthique sociale que posent aujourd’hui l’accroissement même ralenti de la population de la planète et celui encore fort des pays les plus pauvres.

La vérité

L’aspect le plus spécifique de l’encyclique se lit dans son titre : « L’amour dans la vérité ». Benoît XVI prolonge et complète sa précédente encyclique :« Dieu est amour » (cf. le n° 6/2009 de Documents épiscopat). « Il faut conjuguer amour et vérité, non seulement dans la direction indiquée par St Paul, celle de la vérité dans la charité mais aussi dans celle, inverse et complémentaire, de la charité dans la vérité » (n°3). Cette référence à la vérité et à son lien avec l’amour constitue l’essentiel de la longue introduction de l’encyclique. Benoît XVI dit avec fermeté que la source de l’amour est en Dieu et que « Dieu lui-même est la vérité » (n°1). Il écrit dans la conclusion que « l’humanisme qui exclut Dieu est un humanisme inhumain ». Alors qu’il s’adresse « à tous les hommes de bonne volonté » la radicalité de cette expression ne risque-t-elle pas de décourager le lecteur peu averti, de blesser ceux qui n’ont pas la foi, mais agissent eux aussi pour que la justice et l’amour progressent dans les relations entre les hommes et dans le monde ? Le nécessaire dialogue auquel le Pape appelle par ailleurs ne sera-t-il pas plus difficile ? Le Pape fait référence à Gaudium et spes (l’Église dans le monde de ce temps) du Concile Vatican II (n°11). Ce texte induit une manière de vivre les relations entre l’Église et le monde tout autre : un dialogue avec le monde, à l’opposé de celle qu’exprime l’expression d’un humanisme qui serait inhumain sans Dieu.

Tous les hommes de bonne volonté s’accorderont sur l’utilité qu’il y a à fonder le développement des peuples sur « une vision métaphysique de la relation entre les personnes » (53). Pour les chrétiens, la plénitude de l’amour est en Dieu. C’est auprès de Lui qu’ils trouvent la force immense de l’espérance et le courage de continuer à croire en l’amour et à le vivre, malgré les blessures personnelles et les blessures du monde. Tous ceux qui considèrent qu’une des tâches des chrétiens aujourd’hui est de dire et de vivre l’espérance trouveront dans ce texte de quoi nourrir largement leur réflexion, leur méditation et leur action. La crise aiguë que connaît actuellement la mondialisation rend évidente l’exigence d’une conscience morale renouvelée.

Le Pape a fait son « travail ». À chacun maintenant de le poursuivre en l’incarnant et en relevant avec tous le défi du développement vrai.

Guy Aurenche, président du CCFD-Terre Solidaire.
René Valette, ancien président du CCFD-Terre Solidaire.

Sri Lanka : Après la guerre, la réconciliation ?

juin 30th, 2009 by

La guerre est finie mais la question tamoule reste entière. Face à un gouvernement nationaliste peu enclin au dialogue, la population tamoule réussira-t-elle à faire valoir ses droits ? Retour sur les racines du conflit, décryptage géopolitique et interrogations sur une possible réconciliation.

(suite…)

L’offensive contre Gaza, un crime de guerre ?

janvier 6th, 2009 by

Juif, résistant, déporté à Buchenwald puis à Dora, ambassadeur, porte-parole de la Déclaration universelle des droits de l’homme, Stéphane Hessel est l’une des grandes consciences de notre époque. Un entretien réalisé avant l’entrée en vigueur du cessez-le-feu le 17 janvier 2009.

(suite…)

La France, terre d’asile ? (FAQ)

mai 1st, 2006 by

Alors que le ministre de l’Intérieur annonce un énième projet de loi asile et immigration pour la fin de l’année 2022, retour en quelques questions sur la dure réalité de l’application du droit d’asile en France, loin des peurs et des fantasmes.

Qu’est-ce que le droit d’asile ?

Le droit d’asile est un droit humain fondamental reconnu par la Déclaration universelle des droits de l’Homme, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et la Convention de Genève.

Cette dernière, adoptée en 1951, définit les critères des personnes pouvant obtenir l’asile et bénéficier ainsi d’une protection spécifique. Pour cela, la Convention de Genève crée une catégorie juridique à part entière, celle des personnes réfugiées.

Le statut de réfugié s’adresse à toutes celles qui craignent avec raison d’être persécutées du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques, et qui, du fait de cette crainte, se trouvent en dehors du pays dont elles ont la nationalité.

Convention de Genève

Comment le droit d’asile est-il appliqué ?

L’application du droit d’asile se fait via l’examen individuel de la situation d’une personne entrée dans un Etat, qui définit ses règles en termes de reconnaissance du statut de réfugié sur son territoire.

En France, la demande d’asile est adressée en préfecture, qui transmet sous condition le dossier à l’Office français pour la protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA). L’OFPRA est en charge de recevoir la personne demandant l’asile, de l’interroger sur les raisons fondant cette demande et de finalement statuer sur la reconnaissance du statut de réfugié, l’octroi d’une protection subsidiaire ou le refus de protection.

En cas de refus, la personne requérante peut formuler un recours contre la décision de l’OFPRA auprès de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) qui statue en premier et dernier ressort.

Combien de personnes obtiennent l’asile en France ?

En 2021, ce sont près de 105 000 demandes d’asile qui ont été déposées en préfecture en France. Un chiffre en légère hausse par rapport à 2020, du fait notamment de la pandémie de covid-19, mais nettement inférieur aux années précédentes (plus de 138 000 en 2019). Dans l’ensemble de l’Union européenne, plus de 630 000 demandes d’asile ont été déposées.

Mais ce chiffre est à mettre en perspective avec le taux d’accord de l’OFPRA, c’est-à-dire le pourcentage de demandes adressées dont l’étude conduit à une protection. Seuls 25,7% des décisions de l’OFPRA ont débouché sur une protection pour les personnes requérantes.

De son côté, la CNDA a annulé 22% des décisions de rejet de l’OFPRA.

En 2021, ce sont donc 50.000 personnes qui ont obtenu une protection en France l’année dernière.

En tout, ce serait environ 500.000 personnes qui bénéficieraient d’une protection internationale aujourd’hui en France selon La Cimade.

La France accueille-t-elle beaucoup de réfugiés par rapport aux tendances mondiales ?

Non. Selon le Haut-commissariat aux réfugiés des Nations Unies (HCR), on compte plus de 27 millions de personnes réfugiées dans le monde en 2021. 83% d’entre elles sont accueillies dans des pays à revenus faibles ou intermédiaires, et 72% le sont dans des pays voisins.

Les pays à revenus élevés n’accueillent donc que 17% des personnes réfugiées dans le monde, et la France, à peine 1,8%, contre près de 5% pour l’Allemagne, seul pays européen à apparaitre dans les cinq premiers pays d’accueil au niveau international.

D’où venaient les personnes demandeuses d’asile en 2021?

Les cinq principaux pays et les régions de provenance des personnes demandeuses en France en 2021 Source Rapport d’activité OFPRA 2021

Quelles sont les principales difficultés rencontrées par les personnes demandant l’asile en France ?

Elles sont multiples et croissent au gré des législations françaises et européennes qui évoluent à un rythme effréné.

Les personnes doivent tout d’abord faire face à la procédure Dublin, qui empêchent environ 28% d’entre elles d’accéder à la demande d’asile en France, ayant été enregistrées pour la première fois dans un autre pays européen d’entrée (majoritairement en Grèce ou en Italie).

A cela s’ajoutent des délais de traitement relativement longs qui accentuent la précarité de ces personnes, notamment pour celles qui n’arrivent pas à accéder à un logement d’urgence qui leur est pourtant dû durant l’instruction de leur demande d’asile. Les personnes ne peuvent prétendre à un emploi et, depuis 2020, un délai de carence de trois mois a été instauré pour la prise en charge de leurs frais de santé.

Par ailleurs, le délai pour formuler un recours a été raccourci, d’autant plus pour les personnes dont la demande a été placée par l’OFPRA en procédure accélérée, une tendance à la hausse ces dernières années. 

Comment le CCFD-Terre Solidaire et ses partenaires se mobilisent-ils  ?

Le CCFD-Terre Solidaire agit pour que les politiques migratoires françaises, européennes et internationales respectent les droits et la dignité de toutes les personnes migrantes, reconnues en tant que réfugiées ou non, et sur l’ensemble de leur parcours migratoire.

En France, elle soutient des associations qui accompagnent juridiquement ces personnes et dénoncent les violences et entraves aux droits dont elles sont victimes notamment :