Depuis l'élection de Xavier Milei a la tête de l'Argentine, les cantines populaires constatent une hausse de la demande alors que les subventions diminuent

Depuis l'élection de Xavier Milei a la tête de l'Argentine, les cantines populaires constatent une hausse de la demande alors que les subventions diminuent

Extrême droite en Argentine : six mois après, le retour de la faim

Publié le 11.06.2024

Élu en novembre 2023 à la tête de l’Argentine avec plus de 55 % des suffrages, Javier Milei a engagé le pays dans une politique économique et sociale qui impacte brutalement les populations les plus démunies.

Sous une pluie fine, une dizaine de personnes attendent patiemment devant la porte grillagée de la cantine populaire Kevin. Ce local, où sont préparés et distribués chaque jour 120 plats chauds, est situé au cœur de la Villa 31, l’une des favelas qui compose le quartier défavorisé du Retiro, dans le centre de Buenos Aires, en Argentine.

Les distributions alimentaires en tension

Dans la file d’attente se mêlent de jeunes mamans avec leurs enfants, des hommes dans la force de l’âge, des retraités. Rosana, la cinquantaine, qui gère ce comedor depuis plus de vingt ans raconte :

Il y a toujours eu des pauvres par ici, mais la situation s’est dégradée depuis décembre et l’arrivée au pouvoir de Javier Milei. Avant lui, le coût de la vie était déjà cher, mais au moins l’État fournissait de quoi préparer des repas pour nourrir les plus démunis.

Rosana constate un impact direct sur l’aide alimentaire.

Aujourd’hui, les aliments proposés par les autorités ont perdu en quantité et en qualité et nous permettent à peine de servir de maigres rations aux personnes qui sont inscrites sur notre liste. Pourtant, de plus en plus de gens nous sollicitent, y compris ceux qui travaillent. La situation est pire que durant la crise de 2001 et la pandémie de Covid-19 !

Une “tronçonneuse” ultralibérale

Javier Milei a été élu à la tête de l’Argentine le 19 novembre 2023.

Se revendiquant anarcho-capitaliste, cet économiste de 53 ans a mené sa campagne en haranguant les foules une tronçonneuse à la main, en prônant le redressement de l’économie par des coupes drastiques dans le budget de l’État.

Nestor Borri, coordinateur du Centro Nueva Tierra, un organisme de promotion sociale et pastorale argentin, longtemps soutenu par le CCFD-Terre Solidaire, raconte :

Parmi les premières mesures prises figurent la dévaluation de 50 % du peso, la suppression des aides publiques aux transports et aux subventions des cantines populaires, sans oublier le gel des budgets des universités et le non-renouvellement de contrats de milliers de fonctionnaires.

Il a aussi promis la dollarisation de l’économie et la maîtrise de l’hyperinflation, qui a atteint 211 % en 2023, durant la dernière année de mandat du gouvernement de centre gauche d’Alberto Fernandez.

De fait, après un mois de décembre à 25 %, l’inflation est « retombée » à 51,6 % pour le 1er trimestre 2024. Si les mesures ont été saluées par Kristalina Georgieva, la directrice du Fonds monétaire international (FMI), elles ont plongé des millions d’Argentins dans une situation désespérée.

Survivre


C’est le cas de Maria, 50 ans. Cette femme au foyer vit avec son mari, leurs quatre enfants et trois petits-enfants, dans une maison modeste surplombant un égout dans le bidonville de Gonzalez Catan, à La Matanza, petite ville de la banlieue de Buenos Aires.

Depuis que Milei est au pouvoir, c’est une lutte au quotidien pour survivre. Mon mari trouve de moins en moins de travail comme manœuvre dans le bâtiment, car de nombreux chantiers financés par l’État sont à l’arrêt. En plus, mon fils aîné est atteint d’un cancer. Avant, on pouvait compter sur les médicaments délivrés gratuitement par l’hôpital public. Mais, depuis janvier, le docteur nous a dit que faute de budget, il fallait désormais les acheter nous-mêmes, et c’est très cher.

Quelques maisons plus loin, Nelly, 62 ans, a du mal à réprimer sa colère. Cette institutrice à la retraite, peste « contre tous ceux qui ont voté pour un homme qui veut détruire le système social que l’Argentine a construit pendant des décennies ». Sa pension de retraite et celle de son mari atteignent à peine 300 000 pesos (environ 320 euros) par mois.

« Je vends des empanadas dans le quartier pour tenir le coup. Mais je connais des gens qui vont mourir de faim si les choses continuent ainsi. »

Les emplois publics menacés

15 000

agents de l’Etat

ont perdu

leur emploi

Alejandra González, elle aussi, a du mal à garder son calme. « Depuis le mois de janvier, Javier Milei a fait des gnocchis – comme il surnomme avec mépris les fonctionnaires – ses cibles privilégiées, explique cette cadre de l’Association des Travailleurs de l’État (ATE), la principale organisation syndicale du secteur. Pendant toute sa campagne, il a soutenu que l’État était inefficace et les fonctionnaires des oisifs employés en surnombre. Depuis, il a donné comme consigne de tailler dans les effectifs. »
Résultat ? Au moins 15 000 agents de l’État ont perdu leur emploi entre mars et avril. Mariano Gorostiaga fait partie de ceux-là. Vidéaste depuis 2020 au sein de la Bibliothèque nationale, chargé de produire et éditer des vidéos pour la conservation du patrimoine et alimenter le site internet de l’institution, il a appris brutalement le non-renouvellement de son contrat annuel. Lors d’un rassemblement pour sa réintégration et celle de ses collègues, organisé devant la Bibliothèque, à l’appel de l’ATE, il raconte :

« Comme 119 autres collègues, j’ai reçu un courriel le mercredi 27 mars à 21 h 30 m’informant que mon contrat prenait fin deux jours plus tard et qu’il ne serait pas reconduit. C’est d’autant plus incompréhensible que le travail ne manque pas. D’ailleurs, en juin dernier, il était même question d’embaucher une deuxième personne ! »

Grève générale


« La gestion de Milei se résume à couper dans les budgets partout ou alors maintenir au même niveau ceux de l’an dernier, malgré l’hyper inflation », s’insurge pour sa part Gabriel Cavana, professeur d’histoire de l’art et adhérent à l’association des enseignants de l’université de Buenos Aires (AGD-UBA). Mobilisé les semaines précédentes pour des « rassemblements préparatoires devant le Congrès », il a participé à la grande manifestation du 23 avril, la plus importante depuis l’élection, où se sont retrouvées plusieurs centaines de milliers de personnes (professeurs, étudiants, parents…), afin de « dénoncer la politique d’austérité du gouvernement ultralibéral de Javier Milei et défendre l’université publique gratuite ».

Les université en urgence budgétaire

« Ces universités, qui accueillent plus de 2,2 millions d’étudiants, sont en urgence budgétaire, explique Gabriel. Mais au nom de l’objectif “ déficit zéro ”, Milei n’hésite pas à geler les salaires des professeurs, les budgets pour la recherche et à paralyser le fonctionnement des locaux. » Ingrid, 20 ans, étudiante en Lettres, le vit au quotidien.

« Depuis janvier, pour faire des économies d’énergie, certaines parties communes de la fac ne sont plus éclairées, les ascenseurs sont à l’arrêt et les heures d’ouverture de la bibliothèque ont été réduites. »

Si cette manifestation s’est déroulée dans le calme, cela n’a pas toujours été le cas depuis l’arrivée au pouvoir de Javier Milei. Début février par exemple, une grève générale a été organisée pour rejeter le projet de loi de déréglementation, dit loi omnibus, regroupant plus de 300 textes.

Le lundi 18 mars, une journée de manifestation pour « l’urgence alimentaire et contre l’austérité », coïncidant avec les 100 jours au pouvoir de Javier Milei a fait descendre dans la rue des dizaines de milliers de personnes.

Dans les deux cas, il y a eu de violents accrochages entre les manifestants et la police, qui a fait usage de canons à eau et de gaz lacrymogènes contre les manifestants et la presse. Pas de quoi surprendre Diego Morales, membre du Centre d’études juridiques et sociales (CELS), un organisme de défense des droits de l’homme créé en 1979, sous la dictature militaire (1976-1983).

« Dès les premiers jours, le gouvernement a signé un décret indiquant que le seul fait d’occuper une rue est un délit et habilitant les forces de sécurité à agir. Le gouvernement a verbalisé certaines organisations syndicales pour avoir manifesté et leur a envoyé la facture des coûts occasionnés par le déploiement de forces de police ! Le pire, c’est qu’à ce jour, aucun juge n’a dit que c’était illégal. »

Tensions internes


Cette tension récente, Santiago Brítez, la perçoit jusque dans les rues de la modeste municipalité de San Justo, située dans la banlieue de Buenos Aires. Responsable d’une coopérative regroupant aujourd’hui près de 160 cartoneros, des hommes et des femmes ramassant dans la rue des déchets recyclables, ce solide quadragénaire au regard franc a vu depuis le début de l’année le climat se durcir entre les membres. « Sans doute parce que le nombre de cartoneros a doublé lors du premier trimestre. »

Parmi les gens qui ramassent les déchets, la coopérative compte désormais des retraités et des salariés qui cumulent cette activité avec leur emploi pour pouvoir joindre les deux bouts. « Le problème, poursuit Santiago, c’est que sur un territoire donné, plus il y a de cartoneros, moins il y a de déchets à ramasser pour chacun. » Sans oublier les tensions entre ceux qui ont voté pour Sergio Massa, le candidat malheureux, et ceux qui ont choisi Javier Milei.

« Beaucoup ont cru à ses promesses, notamment celle de remplacer le peso par le dollar. Aujourd’hui, beaucoup regrettent leur choix. Mais le mal est fait. »

Reste à savoir si ce mal est durable ou non. « La vie politique argentine est comme un pendule qui oscille entre la sociale démocratie incarnée par le péronisme et des épisodes de politique ultralibérale qu’ont portés successivement Carlos Menem (1989-1999), Mauricio Macri (2015-2019) et, aujourd’hui, Javier Milei, rappelle Nestor Borri du Centro Nueva Tierra. Difficile donc d’anticiper ce que sera le paysage politique en Argentine dans quatre ans. »

Santiago Brítez, lui, ne croit pas que Javier Milei ira au terme de son mandat. « Les Argentins les plus pauvres ne vont pas supporter longtemps de l’être encore plus. »

Pour Nicolás Caropresi, de l’Union des travailleurs de l’économie populaire (Utep), qui accompagne les coopératives de cartoneros du grand Buenos Aires, « la polarisation observée lors des dernières élections est la démonstration d’une cassure profonde qui existe au sein d’une société argentine qui s’est pourtant toujours distinguée, aux pires moments de son histoire, par une solidarité exemplaire ». Une inquiétude partagée par Alejandra González, de l’Association des travailleurs de l’État (ATE).

« J’espère que Javier Milei ne fera pas trop de dégâts pendant ses quatre ans de mandat. Et, surtout, qu’il ne fera pas de l’Argentine un nouveau laboratoire de l’extrême droite mondiale. »

Jean-Claude Gerez

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