Hommage à Éric Alain Kamdem, coordinateur de la maison du migrant de Gao

Publié le 29.09.2022| Mis à jour le 24.03.2023

C’est avec beaucoup de tristesse que nous avons appris au mois d’aout le décès d’Eric Alain Kamdem, coordinateur de la maison du migrant de Gao, au Mali. Le documentaire “Le dernier refuge”, diffusé cet été sur Arte, permettait de découvrir son action et sa présence chaleureuse auprès des personnes migrantes à Gao. Le Père Anselm Mahwera lui rend hommage dans ce vibrant récit

Plus qu’un collaborateur, Éric était devenu un petit frère, voire un fils malgré la différence de 4 ans qui nous séparait. Nous avons cheminé ensemble pour notre transformation humaine, sociale, professionnelle (dans la défense des droits des migrants) et surtout spirituelle.

Notre première rencontre remonte à novembre 2005 après les fameux événements malheureux de Ceuta et Melilla1 d’où il avait été refoulé au Mali. Il a ensuite tenté de retourner en Algérie mais ça n’a pas marché. En mars 2006 il est revenu à Gao. Avec une recommandation du frère Jan Heuft de Rencontre et développement (R&D) en Algérie, nous l’avons engagé à la Mission Catholique de Gao comme un technicien de bâtiment.

Suite aux nombreux refoulements d’Algérie qui ont suivi, avec lui et Pierre Yossa, un autre camerounais, nous avons imaginé la Maison du migrant. Éric a fait tous les travaux pour transformer des bâtiments délaissés en un lieu habitable ! Mais c’est surtout au Niger (2012-2014) lors de crise du Nord du Mali que j’ai vu et apprécié sa générosité et son amour pour les migrants.

Quand le CCFD-Terre Solidaire m’a proposé d’écrire un hommage à Éric, j’ai pensé à l’interview qu’il a donné la veille de son accident fatal (en espérant que beaucoup parmi vous ont entendu ou auront une occasion de l’entendre). Pour moi cet interview résume tout son engagement et m’a rappelé comment il a changé et grandi vers la défense des droits de migrants, l’amour des gens qui souffrent, les nécessiteux, les plus marginalisés…

J’ai assisté à la transformation de cet homme, avec qui j’ai commencé de travailler en juin 2006, en celui qui s’exprime dans cet interview. Quand Éric est arrivé à Gao, il n’était pas baptisé dans l’Église catholique. Il a manifesté son désir de se faire baptiser. Après un an et demi de catéchèse par mes soins, il a été baptisé à Gao, la nuit de Pâques, le 23 mars 2008. Au moment de l’enregistrement du nom, il est venu me dire qu’il voulait être nommé « Paul », ce qui ne figurait pas dans ses documents officiels. Quand je lui ai demandé pourquoi, il m’a répondu qu’il voulait signifier le changement en lui, l’homme nouveau qu’il était devenu. Après une longue discussion il a accepté de se fait baptiser par les mêmes noms qui figuraient dans ses papiers tout en me promettant qu’il se ferait appeler Paul dans le quotidien.

Désert, photo tirée du film le dernier refuge ©Les films du Balibari

La suite de sa vie a manifesté ce changement radical. Oui, comme Paul dans la Bible, Éric avait beaucoup changé. Il a su réorienter ses talents, ses énergies et son engagement envers les autres, surtout les plus démunis et marginalisés au lieu de penser à ses propres intérêts.

Vous serez surpris d’apprendre qu’au départ je n’ai pas voulu qu’Éric travaille avec moi à l’accueil de migrants. Même quand nous avons ouvert la Maison du migrant, en mars 2009, une année après son baptême, il était responsable des matériels à la Maison et tant que possible je voulais lui éviter les contact avec les migrants. J’avais trois raisons pour expliquer ce refus.

D’abord, ayant peu de ressources, nous travaillons tous à la Maison bénévolement, et je trouvais injuste de lui demander de nous aider gratuitement alors qu’il cherchait à s’installer et refaire sa vie. J’ai préféré qu’il travaille à la mission, qui avait besoin de ses talents (Éric savait tout faire dans le bâtiment : maçonnerie, soudure, plomberie, électricité et bien d’autre choses, sans parler du fait qu’il était honnête et sérieux dans son travail) et où il était assez bien payé.

Ensuite, à mes yeux, malgré toutes ses qualités, de son propre aveu, Éric avait ses points faibles. Il était ancien boxeur et pouvait se montrer impulsif. Ayant du intervenir directement dans des querelles, j’avais fini par lui demander gentiment de se concentrer sur les travaux à la mission où il n’avait pas beaucoup de contacts sauf avec ses ouvriers.

Enfin, Éric croyait à la justice, à la vérité et au travail. Sa philosophie était apprendre à pêcher aux nécessiteux et jamais de leur donner un poisson. Avec cette philosophie, ça lui a pris beaucoup de temps pour accepter qu’il y a des gens tellement fatigués qu’ils n’ont pas la force d’apprendre et qu’il faut leur donner le poisson directement. Ayant lui-même été en migration, il lui était facile de détecter des mensonges dans les récits des migrants, ce qu’il ne supportait pas. Il a fini accepter que ce qui compte c’est que la personne devant nous souffre, et qu’il faut chercher d’abord à soulager la souffrance avant de connaitre la vérité.

Malgré ses points faibles, par sa générosité et sa ténacité, il s’est imposé lors de mes rencontres avec les migrants. Petit à petit il est devenu cet Éric que beaucoup connaissent et à qui ils rendent hommage aujourd’hui : une force tranquille, un homme engagé, infatigable, généreux et preneur d’initiatives nouvelles pour mieux aider les gens qui souffrent devant lui et loin de lui.

Si je dois garder un image d’Éric, je garderais celle où il est en train d’accompagner, en moto, Natasha chez la coiffeuse (une femme qui, ayant oublié d’où elle vient, est restée et vit à la Maison du migrant, qu’on voit dans le film «  le Dernier refuge »). Quand je lui ai dit qu’il n’était pas obligé de le faire, il m’a répondu « mon père vous avez oublié la question que vous m’avez apprise à me poser devant un migrant ou autre personne en demande d’aide : si la personnel était ta sœur, ta maman, ton enfant, ta femme …. Que ne ferais-tu pas pour soulager sa souffrance ? ». Ayant appris à voir en tous les migrants ses parents, il a commencé à aller à la prison, dans les hôpitaux pour visiter les migrants, parfois les enterrer, à prendre des risques pour accompagner des gens malgré l’insécurité, jusqu’à y laisser sa vie, ultime sacrifice. Quel changement!

Je rends grâce à Dieu pour ta vie Éric, pour tout ce que tu as pu fait dans cette courte vie. Je suis triste mais fier de ce que tu as pu réaliser, pour tous ces gens à qui tu as pu manifester que l’amour et la solidarité existent encore.

Reste en Paix cher collaborateur, cher frère, cher Fils spirituel, Éric- le Camerounais, mon Paul dans la migration.

A Dieu

Père Anselm Mahwera

Berlin

21 Septembre 2022

PS : Quand Éric est devenu coordinateur de la Maison du migrant de Gao, et qu’il a commencé à voyager en dehors d’Afrique j’avais peur qu’il y reste. Il m’a prouvé le contraire. Alors il m’a donné une autre leçon, que si les jeunes africains avaient eu la possibilité de réaliser leurs rêves en Afrique, ils pourraient partir en Europe et sans vouloir y rester. Je crois que notre meilleure manière de rendre hommage à Éric sera de travailler pour que l’Afrique soit transformée, pour que les jeunes Africains puissent trouver un climat favorable pour réaliser leurs rêves. En attendent ce changement, la Maison du migrant et toutes les autres efforts pour accompagner les migrants doivent continuer.

La maison du migrant à Gao
La maison du migrant à Gao, image du documentaire Le dernier refuge ©Les films du Balibari

1- NDR : Début octobre 2005, des migrants bloqués au Maroc, lassés des échecs de leur tentative pour franchir les grillages qui entourent ces deux enclaves espagnoles, ont tenté un passage par vagues de plusieurs centaines. La police marocaine a tiré à balles réelles, tuant plusieurs d’entre eux, cf. cette chronologie publiée par Migreurop.

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