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La pandémie de coronavirus amplifie la crise alimentaire au Sud

Publié le 22.05.2020| Mis à jour le 27.06.2023

Alors que les chiffres de la malnutrition sont repartis à la hausse depuis quatre ans, la crise sanitaire, qui accentue les déséquilibres économiques, sociaux et environnementaux, pourrait affamer près de 150 millions de personnes supplémentaires. Aux quatre coins du monde, nos partenaires, en première ligne face à cette crise, témoignent.


Plantée au feu rouge d’une avenue de la zone ouest de Rio de Janeiro, une gamine brandit devant les automobilistes un panneau de carton où elle a écrit : « J’échange un masque contre de la nourriture ». Sa mère, qui a récemment perdu son emploi en raison de la crise du coronavirus, a envoyé Ana Júlia neuf ans, comme ses trois sœurs et frères, quémander dans la rue pour nourrir la famille.
La photo, devenue virale, résume un drame qui frappe les plus pauvre : sous l’effet de la crise sanitaire, des millions de personnes sont en train de rejoindre les rangs des familles qui souffrent de la faim.

À l’aube d’une pandémie de la faim

Le 21 avril dernier, le directeur du Programme alimentaire mondial (Pam) de l’Onu interpellait en termes singulièrement percutants le Conseil de sécurité des Nations unies : « Pardonnez ma franchise, lance David Beasley, alors que nous sommes confrontés à une pandémie de Covid-19, nous sommes également au l’aube d’une pandémie de la faim. »

Le dernier rapport sur l’état de l’insécurité alimentaire dans le monde [[Sofi 2019]], publié sous l’égide de l’Onu, estimait ainsi à plus de 2 milliards le nombre de personnes ne disposant pas d’un accès régulier à des aliments sains et nutritifs en quantité suffisante.

« Depuis le début de l’année se manifestent des signaux très préoccupants semblables à ceux qui annonçaient les crises de la faim de 2007 et 2012 dans plusieurs régions du monde », relève Maureen Jorand, chargée de plaidoyer Souveraineté alimentaire au CCFD-Terre Solidaire. Des partenaires de l’association rapportent que des récoltes sont gravement compromises par la sécheresse au Mali, au Maroc, en Syrie, au Guatemala…, ou par des invasions de criquets pèlerins en Afrique de l’Est.

Une pandémie amplificatrice des crises existantes

Si la pandémie sanitaire ne découle pas, en première analyse, d’un nième déséquilibre entre le Nord et le Sud, « elle intervient comme amplificateur de crises déjà installées et qui en portent la marque », appuie Maureen Jorand.

<groschiffre|couleur=#008cc5 |align=”right” |texte=”La” majeure=”” partie=”” des=”” personnes=”” en=”” état=”” de=”” souffrance=”” nutritionnelle=”” vivent=”” dans=”” zones=”” conflits,=”” dérèglement=”” climatique=”” ou=”” crise=”” économique=””>La diffusion du Covid-19 aura des impacts alimentaires démultipliés dans les régions où sévit le dérèglement climatique et la destruction de la biodiversité (déforestation, urbanisation, etc.), qui affectent les systèmes agricoles et alimentaires locaux. Mais aussi dans les zones marquées de longue date par des crises économiques, sanitaires et alimentaires. </groschiffre|couleur=#008cc5>

Il faut aussi s’attendre à une augmentation de la malnutrition dans les régions en conflits, en particulier au Moyen Orient et au Sahel. Ou bien celles traversées par des crises politiques persistantes, comme au Cameroun, en Guinée ou au Burundi, dont le président Nkurunziza a nié l’épidémie pour maintenir le scrutin présidentiel remporté par son parti le 20 mai.

La majeure partie des personnes en état de souffrance nutritionnelle vivent en effet dans des zones touchées par des conflits (77 millions), le dérèglement climatique (34 millions) ou une crise économique (24 millions).

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Une crise de l’accès à la nourriture…

Les mesures de lutte contre la pandémie ont suscité la fermeture de très nombreuses frontières ainsi qu’une restriction généralisée des transports, limitant la circulation des denrées alimentaires et induisant des difficultés immédiates d’approvisionnement.

<groschiffre|couleur=#008cc5 |align=”left” |texte=”Au” pérou=”” ou=”” en=”” colombie,=”” on=”” voit=”” apparaître=”” des=”” foulards=”” rouges=”” blancs=”” aux=”” fenêtres=”” :=”” à=”” l’aide,=”” nous=”” n’avons=”” plus=”” manger=””>Au Paraguay, des populations indigènes ont bloqué des routes pour protester contre une politique de confinement qui les laisse sans alimentation ni aide. Dans certains quartiers pauvres d’Amérique latine, comme au Pérou ou en Colombie, on voit apparaître des foulards rouges ou blancs aux fenêtres : à l’aide, nous n’avons plus à manger. Au Chili, des émeutes ont éclaté dans la banlieue de Santiago : le confinement et le manque d’aide du gouvernement ayant laissé les plus précaires sans nourriture.</groschiffre|couleur=#008cc5>

Car le prix des denrées alimentaires de première nécessité a bondi un peu partout, conséquence de l’interruption du commerce et de la fermeture d’une partie des marchés. « Le Liban est hélas un cas d’école, commente Emmanuelle Bennani, responsable de service Moyen-Orient et Afrique du Nord au CCFD-Terre Solidaire. Avec le Covid-19, la faim menace les villes mais aussi les campagnes. » Le pays, dépendant à 80 % des importations pour son alimentation et ses intrants agricoles, a déjà vu le prix du panier alimentaire de base augmenter de 35 % depuis octobre 2019, alors 50 % de la population vit désormais sous le seuil de pauvreté.

Lire aussi / Liban, Syrie : survivre au Covid-19 dans les camps de réfugiés

Dans la ville péruvienne de Cusco, le Centre Bartolomé de las Casas relève une hausse de 50 % à 100 % du prix de certains produits, alors que les communautés paysannes ne peuvent plus vendre leurs produits sur les marchés de la ville, « avec de grands risques de pénurie si la situation perdure ».

<groschiffre|couleur=#008cc5 |align=”left” |texte=”De” 25=”” %=”” à=”” 40=”” d’augmentation=”” du=”” prix=”” riz=”” dans=”” le=”” nord-kivu=”” en=”” rdc=””> À Kayes (Mali), la fermeture des frontières avec le Sénégal et la Mauritanie a tari les importations d’huile ou de riz, dont les prix s’envolent, s’alarme le Réseau des horticulteurs de Kayes (RHK). Dans le Nord-Kivu (RDC), l’association de femmes Uwaki signale des hausses de 25 à 40 % du prix du riz. « Le premier impact de la pandémie, c’est une crise de l’accès à la nourriture », résume Maureen Jorand.</groschiffre|couleur=#008cc5>

La mise à l’arrêt de l’économie a immédiatement percuté les plus précaires (voir encadré ci-dessous). « Dans le secteur informel, les gens sont touchés de plein fouet, sans aucune épargne, filet de sécurité sociale ni aides publiques », constate Nicola Bullard, responsable de service Asie au CCFD-Terre Solidaire. Aux Philippines, une enquête montre qu’un nombre important de femmes arbitrent entre leurs achats de nourriture et ceux des produits d’hygiène nécessaires pour lutter contre la propagation du virus.

En Inde, la situation des travailleurs de rue, déjà catastrophique sous verrouillage Covid-19, va encore s’aggraver. Pour faciliter la reprise économique, l’Uttar Pradesh et le Madhya Pradesh ont décidé de démanteler le code du travail, et au moins dix autres États indiens ont fait passer la durée officielle du travail de 9 à 12 heures par jour.

L’insécurité alimentaire explose aussi dans les pays riches

La pandémie génère des impacts massifs jusque dans les pays du Nord. Depuis le début de la crise, la Fédération européenne des banques alimentaires constate une augmentation de 25 % à 30 % des demandes d’aide en Europe de l’Ouest. Et même près de 40 % en Italie, particulièrement touchée par la pandémie. À Madrid, la fondation Caritas est submergée par un triplement des sollicitations. Au Royaume-Uni, 16 % de la population souffre d’« insécurité alimentaire » (repas sautés ou réduits, journées à jeun…), alors qu’aux États-Unis, 17 % des enfants ne mangent pas à leur faim… six fois plus qu’en 2018 !

…et bientôt de la production

De proche en proche, la crise sanitaire menace déjà la situation économique, et donc alimentaire, des productrices et producteurs.
En Guinée, les 35 000 adhérents de la Fédération des paysans du Fouta-Djalon, spécialisés dans la production de pommes de terre, sont en situation critique. Une moitié des cultures a été récoltée, mais faute de débouchés les tubercules commencent à pourrir, alors que l’autre moitié a été laissée en terre, au risque des attaques de prédateurs. « La nouvelle saison culturale est déjà compromise, d’autant plus que l’approvisionnement en intrants, importés pour beaucoup, est gelé », ajoute Isabelle Manimben, responsable de service Afrique au CCFD-Terre solidaire.

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Faute de revenus et donc de moyens pour se nourrir, des familles en sont réduites à consommer les semences conservées pour les prochaines mises en culture. Circonstances aggravantes : le monde paysan est rarement pris en compte dans les plans de riposte des gouvernements face à la crise du Covid-19. En Afrique du Sud, le gouvernement a choisi de fermer les marchés locaux, mais pas les supermarchés, terrain d’écoulement des productions de l’agro-industrie.

Par ailleurs, la restriction des déplacements limite la mobilité de la main d’œuvre saisonnière, privée d’indispensables revenus. Elle fait aussi défaut pour les travaux des champs, notamment les récoltes.

Les femmes payent le prix fort…

Ouvrières agricoles, vendeuses sur les marchés, transformatrices, travailleuses du secteur informel, soignantes… voient leur position se dégrader face à la pandémie du Covid-19. « Confinées, nous n’avons plus de revenus », témoigne des paysannes de l’association paraguayenne Serpaj qui lutte pour les droits humains. Le jotopa (« se réunir »), pratique quotidienne pour les groupes, comités ou associations de femmes, est suspendu. « Mais si la faim vient, alors nous sortirons. »

L’enquête menée par le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES) en milieu rural est poignante. Alors qu’elles sont exclues de certaines aides gouvernementales, les femmes se risquent à braver le confinement pour travailler comme journalières, à la merci d’exploiteurs qui en profitent – salaires de misère, exposition à la contamination par le Covid-19 – sans protection.

…mais défendent un autre système agricole

Un peu partout, les bouleversements induits par la crise sanitaire accélèrent la réflexion sur une mutation de systèmes agricoles et alimentaires bien loin d’assurer la souveraineté alimentaire des populations. « En Afrique du Sud, des femmes proposent déjà des approches stratégiques », relève Isabelle Manimben.

Les transformatrices agricoles et vendeuses de marché de la Rural Women Assembly veulent réduire leur vulnérabilité à ce genre de crises en misant sur les semences paysannes locales et plus largement sur une relocalisation des systèmes agricoles — produire et consommer local, se passer des intrants importés, repenser l’approvisionnement des villes, etc. Le Réseau des organisations paysannes et de producteurs de l’Afrique de l’Ouest appelle aussi à tirer résolument parti de l’impact de la crise sanitaire pour construire un autre modèle agricole, durable, local, définitivement débarrassé de la dépendance aux importations et aux cultures de rente.

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Au Liban, dans le sillage des journées « révolutionnaires » d’octobre dernier est née une réflexion sur une reconquête de la souveraineté alimentaire, basée sur la relocalisation de la production, dans le respect de l’écologie et de la santé des personnes, face à une agro-industrie libanaise très polluante.

« Au Pérou, en Colombie, en Argentine au Guatemala, où se développent des marchés agroécologiques locaux et paysans, les maîtres mots du moment sont aussi relocalisation et reterritorialisation », rapporte Walter Prysthon, responsable de service Amérique latine au CCFD-Terre Solidaire. Au Brésil, les partenaires du CCFD-Terre Solidaire demandent la réactivation de mécanismes mis en place sous l’ère Lula et largement abandonnés par le président d’extrême-droite Bolsonaro. Comme le programme d’achat d’aliments aux communautés paysannes productrices, pour l’alimentation des écoles et des municipalités de proximité. Dans l’État de la Paraiba un réseau modèle de banque de semences locales a démontré son efficacité lors de crises alimentaires.

« La pandémie suscite un retour en force des aspirations à l’autonomie et à la souveraineté alimentaire, se réjouit Maureen Jorand. Y compris dans l’Union européenne ! » Mais attention au dévoiement de l’idée : on peut prôner l’autonomie chez soi tout en partant à la conquête de marchés à l’international. « La souveraineté alimentaire doit rester un concept global qui vaut pour tous les peuples, incluant donc une indispensable solidarité entre les pays. »

Par Patrick Piro

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