Le Litani au Liban

Le Litani au Liban

Liban : les activités humaines responsables de la pollution de l’eau

Publié le 21.03.2024

Le Liban, « château d’eau de la région », est confronté à la pollution de certains de ses cours d’eau. Des rivières malgré tout utilisées par certains agriculteurs pour irriguer leurs champs et dont les produits se retrouvent dans l’assiette des consommateurs. Reportage dans la vallée de la Bekaa, à deux heures de route de Beyrouth. 

La vallée de la Bekaa a tracé son sillon au creux des massifs de la chaîne de montagnes du mont Liban à l’ouest, et de l’Anti-Liban à l’est. Ce berceau de l’agriculture dévoile de hauts sommets enneigés en hiver qui chapeautent des terres fertiles.

Du nord au sud de la vallée de la Bekaa serpente le Litani, une rivière de 170 kilomètres, unique cours d’eau qui coule à l’intérieur du pays. Il est aussi tristement connu pour sa forte pollution. Des études scientifiques[1] mettent en cause les activités humaines comme le rejet des déchets industriels et domestiques, l’agriculture, une mauvaise gestion de l’eau. Les chercheurs soulignent également l’augmentation de la population en raison de l’arrivée de réfugiés syriens[2].

Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), la vallée de la Bekaa compte 300 000 réfugiés accueillis et un million d’habitants. Ces personnes qui fuient la guerre vivent souvent dans des conditions misérables et sans qu’aucune infrastructure ne soit adaptée, comme le mentionne une étude, publiée en octobre 2023, sur la pollution des rivières au Liban et leur impact sur la santé. Malgré toutes ces données, selon les estimations de l’établissement public du Litani, plus de 8 000 hectares de surface sont irrigués avec l’eau de la rivière.

Cancer
Au bord d’une route, d’imposantes serres se dressent dans un champ. De jeunes pousses y prennent vie. De larges tuyaux, reliés à un puits creusé à 80 mètres de profondeur, les arrosent par aspersion. « L’eau du puits est propre, j’ai fait des tests il y a longtemps et les résultats étaient bons », affirme Choumane Eddouch, le propriétaire de l’exploitation.


Son exploitation est située à Haouch El Harimeh, à un peu plus de quatre kilomètres du rivage du Litani. L’agriculteur explique qu’il y a 30 ans, il se servait de cette ressource pour différents usages. « Aujourd’hui, ce n’est pas possible, la rivière sent trop mauvais. Je ne peux même pas l’utiliser pour mes légumes… », précise le Libanais. L’homme au visage creusé dit que sa femme est décédée d’un cancer il y a un an. Pour lui, le lien avec la pollution est évident.


« Quand tu ne bois pas l’eau, tu la sens, tu la manges, elle est partout », ajoute-t-il. L’établissement public du Litani, sur son site Internet, souligne que la pollution pourrait avoir détérioré fortement la santé des populations alentour.


À Qob Elias, les arbres du verger de Nader (qui ne souhaite pas donner son nom) sont dénudés. Ici aussi, l’eau provient d’un puits situé à l’angle du champ, face à la cabane dans laquelle vit une famille de réfugiés syriens qu’il emploie. « La pollution de l’eau dans la région m’inquiète bien sûr. Mais ici, elle est propre. Et mon puits est de 100 mètres de profondeur », explique le propriétaire. Comme Choumane Eddouch et bien d’autres agriculteurs de la région, ce dernier utilise des pesticides, des produits chimiques et du fumier . Pour lui, ces techniques agricoles n’ont pas d’influence sur la qualité de l’eau. De l’autre côté du puits, il démarre une pompe. Le moteur vrombit. De l’eau claire jaillit d’un large tuyau noir suspendu. « Ici, l’eau est bonne ! Vous pouvez la boire », se vante Nader en remplissant un verre qu’il s’empresse d’ingurgiter.



« Toutes les eaux de la région sont polluées au nitrate, aux nitrites qui viennent des pesticides. Il y a aussi de nombreuses bactéries »

Naji Kehdy, professeur d’hydrogéologie à l’Université libanaise

Il a effectué une étude sur la qualité de l’eau de la rivière Berdawni , affluent du Litani, entre 2015 et 2016. D’après ses recherches, menées avec le Lari (Lebanese Agricultural Research Institute), des traces de chrome et de plomb retrouvées dans du persil dépassent les seuils recommandés par l’OMS. Le pH de l’eau des rivières est au-dessus des limites réglementaires, indicateur de la présence de polluants.
« Même les puits sont pollués, s’agace Naji Kehdy. La pluie n’est pas polluée quand elle tombe, mais elle l’est dès qu’elle touche les sols, car ils sont déjà pollués. »

Pour ce dernier, il faut une prise de conscience et des systèmes efficaces pour traiter les eaux usées. Des solutions ont été pensées et de l’argent a été investi pour la mise en service d’usines de traitement , mais, selon l’établissement public du Litani, 69 villes de la Bekaa déversent toujours leurs eaux usées dans le Litani. L’organisation estime à environ 46 millions de mètres cubes le volume d’eaux usées déversées dans la rivière ou infiltrées dans les nappes.

L’agroécologie comme espoir
« Pour faire face à la pollution, il faut un État qui fonctionne, surtout dans un contexte de désarticulation de la structure sociale libanaise due à l’impérialisme. Les établissements publics de l’eau ont été créés, mais ils manquent les moyens techniques et humains », expose le chercheur indépendant Karim Eid Sabbagh, qui a notamment travaillé sur l’utilisation des eaux usées dans l’agriculture.


Certains préconisent aussi de changer le modèle agricole actuel. Yara Ward, coordinatrice de projet pour l’ONG libanaise Jibal, a travaillé sur la manière de réduire la pollution de l’eau. « L’agroécologie est une des solutions. Ce système utilise moins d’intrants externes, il est plus durable et il nécessite de prendre soin de tous les éléments de l’écosystème pour avoir une bonne production », argumente-t-elle. Mais pour l’heure, beaucoup se contentent de puiser dans la ressource, sans se soucier des risques qu’ils font courir aux consommateurs et à l’environnement. Et au milieu coule une rivière, loin d’être préservée.

Amélie David

[1] Les phénomènes de rétroaction dans le système du bassin versant de Berdawni, Dr. Naji Joseph Kehdy.

[2] The influence of the Syrian refugees on the underground water resources – Case of the Beqaa region – Naji Kehdy, assistant professor at the Lebanese University.

avec le CCFD - TERRE SOLIDAIRE

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