
PROJET DE LOI ASILE ET IMMIGRATION : COMPRENDRE ET INTERPELLER SES DEPUTE·ES
Le projet de loi « Pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » vient d’être adopté en première lecture par un vote solennel du Sénat. La Chambre haute a durci de nombreuses mesures et accentué la gravité d’un texte qui était déjà très préoccupant. La dimension intégration a été réduite en peau de chagrin, au profit de la dimension contrôle de l’immigration.
Le projet de loi asile et immigration ainsi modifié sera étudié à partir du 27 novembre par la commission des Lois de l’Assemblée nationale, avant un examen en séance publique à partir du 11 décembre.

A travers ce décryptage, on vous donne toutes les clés pour comprendre point par point les enjeux de ce projet et interpeller vos députés.
L’IMPACT DES NOUVELLES PROPOSITIONS

L’aide médicale d’Etat (AME), qui permettait un minimum d’accès aux soins aux personnes en situation irrégulière, est remplacée par une « aide médicale d’urgence ».
L’AME ne représente pourtant que 0,47% des dépenses de santé en 2022. Cet accès aux soins est avant tout humanitaire : il permet de prendre en charge des personnes souvent affectées physiquement et psychologiquement par leurs parcours migratoires mais aussi de soigner à temps des pathologies qui pourraient devenir plus graves, comme le rappellent les soignants.
Avec la nouvelle aide médicale d’urgence, ces personnes n’auraient accès qu’à un panier de soins nettement restreint et limité à l’urgence vitale. Au-delà de l’inhumanité qu’elle sous-tend, la suppression de l’AME serait également un mauvais calcul financier et de santé publique : sans accès à une médecine préventive et généraliste, les personnes pourraient développer des pathologies qui auraient pu être évitées grâce à l’accès à l’AME.

Le texte ajoute de nouvelles conditions pour qu’une personne étrangère puisse rejoindre un proche vivant en France : maitriser le français, avoir des ressources suffisantes, disposer d’une assurance maladie, signer un « contrat d’engagement républicain », etc.
Alors que le droit à une vie familiale est un droit fondamental, et que l’immigration dite familiale n’est pas la plus importante en France, ce type de rapprochement serait particulièrement restreint d’après le texte du Sénat.
Cela concernerait toutes les personnes ayant un titre de séjour en France, y compris les personnes réfugiées.

Les sénateurs et sénatrices ont voté l’instauration de quotas migratoires sur l’ensemble des titres de séjour (hors demandes d’asile).
Chaque année, un débat au parlement prendra place pour fixer des quotas annuels d’entrée pour tous les visas, sauf les visas humanitaires et les demandes d’asile.
Longtemps envisagés dans la logique d’une « immigration choisie », les quotas sont le paroxysme d’une politique migratoire de plus en plus restrictive ces dernières années.

La carte de séjour ne serait attribuée que pour un an pour les personnes occupant un métier dit « en tension », selon une liste établie chaque année selon les analyses de chaque région.
Concrètement, cela voudrait que si les personnes perdent leur emploi ou changent de secteur, ou que le métier n’est plus considéré « en tension » l’année suivante, elles pourraient ne plus accéder à ce titre de séjour l’année suivante.
L’accès à cette carte était déjà restreint dans la première version du projet de loi. Par exemple, la personne devait pouvoir justifier d’au moins 3 années de résidence ininterrompue en France, et d’au moins 8 mois d’activité professionnelle salariée. Les étudiant·es, travailleur·euses saisonniers ou demandeur·euses d’asile ne pourraient pas en bénéficier.
Les sénateurs et sénatrices ont encore ajouté des conditions pour son obtention, comme l’insertion sociale et familiale de la personne ou encore l’intégration à la société française, et délivrée par les préfectures seulement « à titre exceptionnel ».
Bchira Ben Nia de l’Union des Étudiants ExilésAlors que ce texte prétend “améliorer l’intégration”, nous n’observons qu’une succession de mesures contraignant davantage l’accès à un titre de séjour, déjà extrêmement complexe à obtenir aujourd’hui.

Plutôt que de favoriser l’intégration comme son titre laisse penser, le projet de loi se focalise sur le recours aux expulsions des personnes exilées.
De nouvelles possibilités d’expulsion seraient prévues pour des personnes dont le « comportement constituerait une menace grave pour l’ordre public ».
Des personnes considérées jusqu’ici comme « protégées » contre les expulsions pourraient faire l’objet d’une mesure d’expulsion. Ce serait par exemple le cas des personnes étant arrivées en France avant leurs 13 ans ou les personnes résidant en France depuis plus de 20 ans.
La “menace grave pour l’ordre public“ est un concept vague et non qualifié juridiquement, qui risque de laisser cours à des décisions arbitraires sur des mesures aussi graves que des expulsions du territoire.
Aboubacar Dembélé du Collectif des travailleurs sans-papiers de Vitry-sur-SeineLa grande majorité du projet de loi vise à exclure des personnes du droit au séjour et à les expulser du territoire. Et pour cela, on fait appel à des concepts très flous.

Le crime lié au fait de diriger ou organiser un « groupement » qui faciliterait l’entrée ou le séjour d’une personne étrangère sur le territoire français est une nouveauté.
Cela ferait probablement émerger de nouveaux cas de criminalisation de l’action des défenseurs et des défenseuses des droits des personnes migrantes.
Le projet de loi asile et immigration insiste particulièrement sur les arrivées par voie maritime, faisant craindre une criminalisation des associations de sauvetage en mer.
Nouvelle loi, nouvelles tensions
Le projet de loi « Pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration » est le vingt-neuvième texte sur l’asile et l’immigration qui a été adopté depuis 1980. Au fil des années, on observe une véritable inflation législative sur cette thématique.
La discussion sur ce projet de loi s’inscrit dans un contexte en tension, qui a favorisé une instrumentalisation politique de drames tels que l’assassinat de Dominique Bernard, professeur de français à Arras. Le CCFD- Terre solidaire dénonce le climat délétère de stigmatisation des personnes exilées qu’entretiennent le gouvernement et d’autres responsables politiques pour justifier et durcir ce texte.
Sophie DUVAL, chargée de plaidoyer migrations au CCFD- Terre solidaireCes lois correspondent plus à des calculs politiques qu’à de réelles mesures de compréhension des dynamiques migratoires et d’adaptation des politiques publiques en conséquence.
Gérald Darmanin utilise le diptyque manichéen des « bons et mauvais » migrants pour faire accepter son texte, tout en maniant des chiffres sur la délinquance des personnes étrangères souvent erronés ou sortis de leur contexte.
Sophie DUVAL, chargée de plaidoyer migrations au CCFD- Terre solidaireOn assiste à une instrumentalisation constante de drames, qui participent à la stigmatisation des personnes exilées, catégorisées comme délinquantes par défaut, et in fine à la division dans notre société.
Par exemple, ce nouveau texte mentionne le respect des “principes de la République” comme préalable à l’obtention de tout document de séjour, comme si par essence ils n’étaient pas respectés par les personnes étrangères.
Lors des débats au Sénat, le gouvernement a encouragé un défouloir répressif en déposant lui-même certains amendements déshumanisants ou en laissant la majorité sénatoriale adopter un ensemble de mesures extrêmement graves.
Il n’est pas trop tard pour se mobiliser !
Le texte ainsi voté sera bientôt en discussion à l’Assemblée nationale. Il peut encore être modifié.
Le CCFD- Terre Solidaire appelle à la mobilisation des citoyens et citoyennes lors de notre campagne d’interpellation de vos député·es.
Appelons-les à rejeter ce texte dont l’ensemble des mesures limitent les droits des personnes migrantes, précarisent leurs conditions de vie en France et menacent la dignité humaine.
Pour aller plus loin :
avec le CCFD - TERRE SOLIDAIRE
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