Sri Lanka : “Les touristes ne doivent pas cautionner ce régime”

Publié le 08.09.2013| Mis à jour le 08.12.2021

Alors que Sri Lanka est élevé au rang de « top destination » par de nombreux voyagistes ou compagnies aériennes, une campagne veut sensibiliser les futurs touristes sur les réalités du pays. Ruki Fernando, défenseur sri lankais des droits de l’homme, nous en dit plus.


FDM : Une campagne de sensibilisation ciblant les touristes se rendant à Sri Lanka a vu le jour en 2012 en Grande-Bretagne, pourquoi la soutenez-vous ?
Ruki Fernando : Avec ses plages, ses paysages, ses temples et ses éléphants, Sri Lanka a toujours été une destination appréciée des touristes. Mais ces images ne représentent qu’une partie de la réalité du pays.

Dans les régions du Nord touchées par la guerre, il y a des communautés entières dont les terres sont toujours occupées par les militaires et qui doivent vivre dans la jungle. Il y a des familles qui continuent de chercher leurs proches disparus. Il y a tous ces prisonniers politiques, certains emprisonnés depuis des décennies, d’autres sans aucune charge retenue contre eux. Voilà la vraie réalité de Sri Lanka. Nous voudrions que ceux qui s’y rendent ne se contentent pas des images réductrices affichées par les politiques de promotion du tourisme menées par le gouvernement, qu’ils aient une vision un peu plus large, plus réaliste de ce pays.

Un autre aspect de cette campagne vise à sensibiliser les touristes sur le fait que l’armée sri lankaise se comporte comme une véritable troupe d’occupation dans le Nord. Quatre ans après la fi n de la guerre, elle continue de contrôler pratiquement tous les aspects de la vie civile et économique de la région. Elle gère des boutiques, des restaurants, des hôtels, délivre les permis de pêche, et si l’on veut organiser un événement religieux, une fête scolaire ou même un mariage, il faut d’abord obtenir la permission des autorités militaires. Et maintenant, cette même armée se lance dans des activités touristiques. Mais le tourisme qu’elle promeut relève de ce que l’on pourrait appeler un « tourisme de guerre » : visite de monuments à la gloire de militaires, de bunkers, de dépôts d’armes des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE), construction d’hôtels là où périrent des milliers de personnes, membres des Tigres ou civils. C’est écœurant et inacceptable. Les touristes ne doivent en aucune manière cautionner un tel régime. En restant dans des hôtels tenus par l’armée, en mangeant dans leurs restaurants, en profitant de leurs « attractions », ils légitiment la militarisation de cette région et de son économie et réduisent les possibilités de développement des populations locales. Ce tourisme ne peut qu’être source de nouvelles tensions, de nouveaux conflits.

Comment convaincre les agences de tourisme ?
La plupart du temps, elles vont au plus facile et se contentent des images de cartes postales féériques de Sri Lanka. Pour que les informations dispensées aux voyageurs potentiels soient plus en adéquation avec la réalité sri lankaise, cela nécessite de leur part une certaine forme d’engagement. Il ne s’agit pas pour elles d’arrêter de vendre les plages de Sri Lanka – nous n’appelons pas au boycott touristique du pays – mais plutôt de proposer à leurs clients des alternatives un peu plus éthiques.

Les agences de voyages sont soucieuses de leur image. Elles ont des obligations morales et éthiques à respecter. Des concepts comme celui de responsabilité sociale des entreprises ont aujourd’hui fait leur chemin et les sociétés en ont conscience. Elles ont d’autre part compris que, si elles intègrent cette dimension de responsabilité sociale dans leur agenda, leurs bénéfices s’en porteront mieux. Regardez ce qui s’est passé avec le commerce équitable. Au début, personne n’y croyait vraiment et aujourd’hui, il y a des boutiques partout en Europe. Cela démontre qu’il peut y avoir un créneau pour des voyages alternatifs.

Il ne faut pas oublier que la grande majorité de ceux qui partent à Sri Lanka sont des gens bien intentionnés, qui ne soutiennent en rien un régime oppressif et n’ont pas envie de voir des gens souffrir. Mais ils ignorent souvent tout de la réalité locale. Ils ne comprennent pas pourquoi ils se trouvent impliqués, à leur insu, dans ce débat, et ne savent pas comment contribuer à une autre forme de tourisme. En optant par exemple pour un séjour dans une guesthouse familiale plutôt que pour un hôtel tenu par l’armée, ou en préférant les restaurants tamouls où ils pourront échanger avec la population, aux innombrables échoppes gérées par l’armée. Ou encore en choisissant un guide tamoul qui leur présentera un point de vue moins « officiel » lors de leurs excursions dans le Nord.

Quatre ans après la fin de la guerre, dans quelle situation se trouve aujourd’hui Sri Lanka ?
Au cours de l’année 2012 et en ce début 2013, le régime s’est montré de plus en plus autoritaire. La destitution pour des motifs purement politiques de la présidente de la Cour suprême sri lankaise [ndlr : le 13 janvier], qui intervient après que cette Cour ait pris des décisions qui n’allaient pas dans le sens du gouvernement, en est le dernier exemple. Des juges, des avocats qui protestaient de manière pacifique contre cette destitution ont également été molestés ou menacés.

Cette reprise en main de l’appareil judiciaire marque la fi n de l’indépendance de nos institutions. Il n’y a désormais plus qu’une seule voix à Sri Lanka, celle de la famille Rajapaksa. Le président est en charge de l’exécutif, l’un de ses frères gère la présidence du Parlement, un autre est ministre du Développement économique, un autre encore occupe la fonction de secrétaire à la Défense, ce qui en fait l’un des hommes les plus puissants du pays. À eux tous, ils contrôlent désormais 50 % du budget national. La seule différence avec une vraie dictature, c’est qu’il y a encore des élections.

Il y a enfin les violences continues dont sont victimes les populations tamoules. Elles ne peuvent toujours pas pleurer leurs disparus, organiser de services religieux ou tout simplement récupérer leurs terres et leurs activités. Et lorsqu’une communauté se retrouve dépossédée de ses terres, c’est bien plus qu’un bout de terrain qui disparaît, c’est l’identité, l’esprit même de cette communauté qui meurt. Aucun effort n’est fait par le gouvernement pour reconnaître les erreurs et les méfaits passés. On fait glisser tout cela sous le tapis et on oublie. Aucun processus politique n’a été mis en place pour répondre aux demandes des Tamouls qui remontent pourtant bien avant la naissance et la radicalisation des LTTE. Dans le nord du pays, le parti gouvernemental qui se présente comme le « libérateur » a subi de lourdes défaites au cours des trois dernières élections, pourtant considérées par les autorités comme « libres et régulières ». Si la guerre est bien finie, le conflit, lui, est loin d’être résolu.

Un environnement plutôt difficile pour les opposants au régime ?
La situation est très claire : toute personne ou organisation qui critique le gouvernement doit être prête à en assumer les conséquences. Des journalistes, des militants des droits de l’homme ou associatifs, des prêtres, des leaders étudiants sont régulièrement abattus, enlevés, arrêtés, détenus, torturés, molestés, interrogés. L’évêque de Mannar, qui s’était élevé contre les abus commis par les militaires dans le nord du pays, a ainsi eu plusieurs fois la visite des services de renseignements sri lankais l’année dernière et, comme il le dit lui même : « Si je suis encore là aujourd’hui, c’est parce que je suis un évêque, sinon, il y a longtemps que je ferais partie de l’histoire. » Dans ces conditions, beaucoup préfèrent quitter le pays.

Quant à ceux qui persistent, ils doivent le faire à leurs risques et périls et vivent dans un stress permanent : « Est-ce que mon téléphone est sur écoute ? Suis-je suivi ?… » Et puis il y a le regard des amis, de la famille, qui ne comprennent pas toujours pourquoi – surtout si l’on est cinghalais comme moi – on critique le gouvernement, pourquoi l’on vient en aide aux populations tamoules… Et qui vous traitent de fou, de traître, voire de Tigre cinghalais. La défense des droits de l’homme a un coût très élevé. D’autant plus élevé si l’on est un militant de base travaillant à l’échelle des villages, sans aucune structure de protection derrière soi.

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