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La Tunisie sous pression européenne (rapport )

Publié le 19.06.2020| Mis à jour le 02.01.2022

L’Europe cherche à prolonger la mise en œuvre de sa « politique migratoire » jusqu’en Tunisie, où les personnes migrantes ne bénéficient aujourd’hui d’aucune protection.
Un rapport de Migreurop et du Forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux (FTDES), documente ce qui est en réalité une « politique du non-accueil » et l’utilisation des organisations humanitaires internationales pour des objectifs sécuritaires.


« Refoulements aux frontières, conditions d’hébergement désastreuses, déficience de la prise en charge médicale, manque d’informations, entraves à la demande d’asile, absence de transparence et de garanties lors de la procédure de détermination du statut de réfugié, racisme, difficultés d’accès au marché du travail et à l’éducation, expulsions en plein désert, pressions pour le retour dans le pays d’origine, intimidations et abus de pouvoir de la part des organisations les prenant en charge … tel est le tableau de l’accueil, ou plutôt du non-accueil, des personnes migrantes venues trouver protection en Tunisie »

Le rapport « Politique du non-accueil en Tunisie. Des acteurs humanitaires au service des politiques sécuritaires européennes », alerte sur la situation des personnes migrantes en Tunisie et la responsabilité des différents acteurs : Union Européenne, organisations internationales et Etat tunisien. Ce rapport est publié par l’observatoire des frontières Migreurop et le FTDES en Tunisie, deux organisations partenaires du CCFD-Terre Solidaire.

La Tunisie sous pression

Entre une migration africaine en partie dirigée vers l’Europe et les conflits régionaux (Libye, Syrie, Yemen…) d’un côté, et la muraille que l’Europe a dressée en Méditerranée de l’autre, la Tunisie est dans une position intenable.

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Tandis que les courants marins rejettent vers ses côtes les corps des personnes migrantes noyées lors de leur tentative de traversée, les politiques y repoussent les vivants, Subsahariens qui fuient la Libye, Somaliens, Erythréens, Syriens ou ouest-Africains en quête d’un avenir meilleur.

« Les organisations internationales orientent les émigrés en Libye vers la Tunisie. L’Europe n’accueille plus les personnes migrantes secourues en mer et interdit les sauvetages par les ONG. La Tunisie est donnée comme réponse à la fermeture des frontières, mais aucune disposition n’est prise pour les prendre en charge »
, résume Romdhane Ben Amor, du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES).

Depuis une vingtaine d’années, l’Union européenne tente de confier aux pays de la rive sud de Méditerranée le rôle de garde-frontière pour bloquer et refouler les personnes exilées en provenance d’Afrique.

La Tunisie « semble devenir la nouvelle cible de cette stratégie européenne d’externalisation des frontières, et accumule progressivement les ingrédients qui tendent à la transformer en zone de contrôle migratoire », lit-on dans ce rapport.
En juin 2018, l’Union européenne a proposé à la Tunisie d’accueillir une plateforme de débarquement pour les personnes migrantes secourues en mer, à charge pour elle de les identifier, d’effectuer le tri entre les personnes qui auraient besoin d’une protection et pourraient demander l’asile et les personnes migrantes « ayant vocation à retourner dans leur pays ».

Sophie-Anne Bisiaux, chercheuse et autrice du rapport, souligne : « On a vu ce que cette approche dite « hotspot » a donné en Europe depuis 2015. Le centre de tri sur l’île de Lesbos, en Grèce, est une prison à ciel ouvert dans laquelle s’entassent encore à l’heure actuelle des milliers de personnes. »

« Nous n’avons ni la capacité ni les moyens d’organiser ces centres de détention. », avait d’abord répondu Tahar Cherif, l’ambassadeur tunisien auprès de l’Union européenne en 2018.

Si elles maintiennent leur refus de principe, les autorités tunisiennes acceptent cependant désormais certains instruments de contrôle qui lui permettent de renforcer son propre appareil de sécurité.

La Tunisie résiste de moins en moins à la pression

En 2011, plusieurs centaines de milliers de sub-sahariens émigrés en Libye avaient fui la guerre et transité par le camp de Choucha, à la frontière libyenne. Plusieurs milliers y étaient restés coincés, jusqu’au démantèlement du camp en juin 2017.

La Tunisie a longtemps refusé la perspective d’un Choucha-bis, mais depuis 2019, le HCR élabore un « plan de contingence » dans l’éventualité d’un nouvel afflux en provenance de Libye.

Un camp pouvant accueillir de 25 000 à 50 000 personnes a déjà été annoncé cette fois à l’écart de la frontière.

Or, estime Sophie-Anne Bisiaux, « un faisceau d’indices, tels que l’implication européenne, la dénomination du camp, la proximité d’un aéroport récemment agrandi, l’opacité de la préparation, laissent penser qu’en réalité, il aurait pour vocation, de recevoir non seulement les migrants arrivés de Libye, mais aussi les irréguliers en Tunisie, ceux qui ont été interceptés en mer et même ceux que l’Europe expulse ».

Mais pour que la Tunisie puisse être considéré comme un pays tiers sûr vers lequel l’Europe peut renvoyer les migrants, elle doit au préalable adopter une loi sur l’asile et signer avec l’Europe un accord de réadmission des migrants qui ont transité par son territoire.

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Si pendant longtemps, les corps des personnes migrantes étaient enfouis dans des fosses communes creusées dans la décharge municipale de Zarzis, deux cimetières ont été créés par des bénévoles pour offrir une sépulture digne aux victimes des politiques migratoires de l’Union européenne, à l’image de ce Jardin des Africains. ©rapport Migreurop et FTDES

La défaillance des organisations internationales

Pour le moment, les conditions de vie des migrants en Tunisie relève d’une politique de « non-accueil », selon les observations d’Anne Sophie Bisiaux.

En attendant l’adoption d’une loi sur l’asile, c’est le Haut commissariat aux réfugiés (HCR) qui traite les demandes. Les demandeurs sont placés dans des centres où ils n’ont accès ni aux soins, ni au marché du travail et dont les conditions de vie déplorables ont été dénoncées en 2019 par le FTDES. De facto, ce sont devenus des centres détention. Leur titre de demandeur ne leur ouvre en réalité aucune protection.

L’ Organisation internationale des migrations (OIM) s’occupe elle des retours en théorie « volontaires » mais qui seraient surtout acceptés « à l’usure », selon les témoignages recueillis, en échange d’un renoncement à la demande d’asile.
« Sous couvert de protection humanitaire, les agences onusiennes prolongent en réalité la politique sécuritaire européenne en Tunisie » déplore Sophie-Anne Bisiaux. Les conditions en Tunisie sont devenues tellement difficiles, que certains préfèrent retenter leur chance dans l’enfer libyen ».


Le rôle de la Tunisie

Les autorités tunisiennes pour leur part, agissent dans un cadre légal qui n’est plus adapté à sa situation de pays d’immigration.

Beaucoup des quelque 20 000 Subsahariens présents en Tunisie se retrouvent piégés, incapables de payer les pénalités de dépassement de la durée du visa, cumulées parfois sur plusieurs années et survivent grâce à des emplois non-déclarés, sans aucune protection.

Lire aussi : En Tunisie, des associations de migrants impulsent la solidarité face au Covid 19

« Nous avons relevé des cas d’expulsion en plein désert à la frontière algérienne, les forces de sécurité ont déclaré elles-mêmes avoir refoulé des migrants venus de Libye, ce qui est illégal », note Sophie-Anne Bisiaux.

Romdhane Ben Amor rappelle le rôle que peut jouer la Tunisie et les demandes du FTDES : « une régularisation massive pour que les migrants puissent bénéficier des dispositifs d’aide, la révision des procédures d’octroi de permis de séjour et le traitement des demandes d’asile, la ratification de la convention sur la protection des travailleurs migrants, et un refus clair de devenir un hotspot pour l’Union européenne. »

Thierry Brésillon

avec le CCFD - TERRE SOLIDAIRE

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