Asie, la tentation dynastique

Publié le 17.07.2024

Présidentielle en Indonésie, législatives en Inde et en Corée du Sud. L’Asie n’échappe pas à la vague d’élections. En Asie du Sud-Est, les dernières, qui se sont déroulées en 2023, soulignent une tendance dynastique accentuée. Cas d’école au Cambodge, aux Philippines et en Thaïlande.

Un Premier ministre qui cède la place à son fils après des élections tenues sans opposition ; le fils d’un ancien dictateur élu à la tête du pays trente-six ans après l’exil de son père ; le gendre d’un autre autocrate déchu élu avec comme colistier le fils du président sortant. Plusieurs pays d’Asie du Sud-Est ont vu ces derniers mois une tendance renforcée à des pratiques dynastiques. Un phénomène s’expliquant notamment par une alliance entre oligarchies familiales et milieux des affaires.

Focus on Global South, organisation qui combine des projets de recherche et de plaidoyer, s’est intéressé à ces mécanismes, ces liens de clientélisme et dynastique afin d’éclairer les phénomènes communs existant entre les pays d’Asie du Sud-Est. « On constate des similitudes, des tendances qui se dessinent. Les comprendre permettra peut-être à la société civile de répondre et de relever les défis posés par ces réalités qui entravent la justice sociale », explique Raphaël Baladad de Focus on Global South.

Cambodge : mariages entre membres du clan

Premier exemple, le plus significatif sans doute, le Cambodge. En juillet 2023, le Premier ministre Hun Sen a tiré sa révérence, quittant le poste qu’il occupait depuis 1985. Il a démissionné au lendemain des élections législatives qui ont donné une victoire sans surprise à son parti, le Parti du peuple cambodgien. Depuis 2017, les principaux partis d’opposition ont été interdits de participer au scrutin législatif. Son fils aîné, Hun Manet, lui succède. Dans son gouvernement, le jeune ministre de la Défense, tout comme celui de l’Intérieur prennent la place de leurs pères respectifs.

Au total, sur les vingt-huit membres du gouvernement, huit ont des liens familiaux avec des ministres sortants. On compte également 1 422 postes de secrétaire d’État ou de sous-secrétaire d’État. Une nouvelle génération au pouvoir afin de garantir et préserver les rouages d’une captation des richesses économiques mise en place par la famille de l’ancien Premier ministre Hun Sen et son entourage depuis le début des années 2000 et la fin de la guerre civile. Les combattants de la guerre civile ont formé une caste où le clientélisme et les prébendes dominent. Les mariages entre les membres du clan assurent loyauté et fidélité à l’ensemble de la structure.

Philippines : « dictature des familles »

Aux Philippines, malgré des garde-fous constitutionnels, notamment la limite à un mandat unique de six ans pour le poste de président, de grandes familles réussissent à conserver un rôle politique incontournable. Une situation, explique Bianca Martinez, qui remonte à l’époque coloniale. Les élites locales ont alors formé des alliances avec la puissance colonisatrice jouant le rôle de négociateurs. Une position prééminente qui n’a pas cessé depuis. « Les familles puissantes fournissent au niveau local des services, jouant donc le rôle normalement dévolu à l’État et créant dans le même temps des liens d’intérêt et de loyauté. On peut ainsi parler d’une dictature des familles », détaille-t-elle.

Aux Philippines, la démocratie se résume ainsi à un combat entre élites

Walden Bello, Focus on Global South

Un système inchangé malgré la révolution de 1986. Des millions de Philippins ont de fait obtenu le départ du dictateur d’alors, Ferdinand Marcos. Élu en 1965, il avait imposé la loi martiale en 1972 pourchassant ses opposants politiques. La révolution du peuple a permis de rétablir la démocratie dans le pays. Mais le pouvoir des familles puissantes n’a pas été remis en cause, la scène politique demeurant largement dans leurs mains. « Aux Philippines, la démocratie se résume ainsi à un combat entre élites, » estime Walden Bello de Focus on Global South.

Pour monter dans la hiérarchie sociale, on monnaye son soutien en garantissant lors des élections le vol de ses affidés. « Les familles mobilisent les électeurs au niveau local pour tel ou tel candidat en fonction des alliances, » raconte Raphaël Balabad, coauteur d’une étude sur les alliances entre familles. Ainsi de l’ancien président Rodrigo Duterte, au pouvoir entre 2016 et 2022. Maire de Davao, au sud de l’archipel, il s’est appuyé sur les réserves de voix apportées par le fief de la famille Marcos, situé au nord. Sous son mandat, il a participé à la réhabilitation de la figure de Ferdinand Marcos père, organisant le transfert du corps du dictateur au cimetière des héros. Un geste symbolique très fort. « Depuis, on a assisté à la révision de l’histoire », indique Walden Bello. Les exactions commises durant la loi martiale ont été gommées dans les médias ou sur les réseaux sociaux. Et Ferdinand Marcos junior a remporté l’élection de 2022. Sa colistière Sara Duterte, fille du président sortant, lui servant d’atout maître.

« Les espoirs que portait la démocratie née en 1986, garantir l’égalité sociale et la justice sociale, ainsi que l’accès à l’emploi, n’ont pas été réalisés », regrette l’équipe de Focus on Global South. Pour les analystes, il s’agit donc de transformer en profondeur le système. « Un cheminement long, car il passe par l’éducation », estime Raphaël Baladad.

Thaïlande : alliance entre anciens ennemis

En Thaïlande, les électeurs ont donné en mai 2023 une large victoire au jeune parti réformateur du Move Forward. Un espoir d’ébranler le statu quo où dominent les militaires et l’appareil économique rassemblés autour de la monarchie. Move Forward souhaitait décorréler les puissances économiques et militaires de la puissance politique afin de faire émerger un nouveau contrat social et une nouvelle architecture politique plus juste. « Un rêve cassé », détaille Kheetanat Wannaboworn de Focus on Global South en Thaïlande. Les élites proches du palais royal et de la junte militaire et le parti de Pheu Thai, le parti politique arrivé en seconde position aux législatives, ont conclu un accord de gouvernement spoliant le vainqueur de sa victoire. Le parti Pheu Thai est dirigé par la fille de Thaksin Shinawatra, un ancien Premier ministre renversé par les militaires et les proches du palais royal en 2006.

Véritable confiscation des résultats électoraux, cette alliance entre « anciens ennemis » est contre-nature, note Kheetanat Wannaboworn de Focus on Global South. Mais, cet accord a permis à l’ex-Premier ministre Thaksin Shinawatra de rentrer d’exil et de bénéficier d’une amnistie. Sa sœur a été Première ministre de 2011 à 2014. « Dans des systèmes non démocratiques, il est nécessaire de s’appuyer sur ses proches, conclut Walden Bello. Il est impossible de faire confiance en dehors de la famille. »

Christine Chaumeau

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