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Brésil : résister au virus du fascisme

Publié le 22.10.2020| Mis à jour le 07.12.2021

Deuxième pays le plus impacté au monde par le Covid-19, le Brésil doit faire face à la menace d’un pouvoir qui cherche à démanteler une démocratie farouchement défendue par la société civile.


« Monsieur le Président, nous pouvons profiter du fait que la presse est focalisée exclusivement sur le Covid-19 pour faire passer des réformes hors du cadre légal, changer la réglementation et simplifier des normes, que ce soit dans le domaine de l’environnement ou de l’agriculture. Et ce, sans avoir besoin de l’approbation du Congrès (…) ». Des propos tenus, le 22 avril dernier, par Ricardo Salles, ministre de l’Environnement, dans le cadre du séminaire ministériel convoqué par le président Jair Bolsonaro, afin de plancher sur les mesures à prendre face à la crise du coronavirus.

Durant la réunion, le président et plusieurs ministres profèrent aussi des insultes envers des parlementaires et des membres du Tribunal fédéral suprême (STF), la plus haute instance juridique du Brésil. Ils les accusent de vouloir « mettre à terre » l’économie du pays touché de plein fouet par le coronavirus. Ils multiplient les dérapages verbaux sans s’imaginer qu’un mois plus tard la vidéo de cette réunion serait rendue publique par un juge de la Cour suprême dans le cadre d’une enquête visant Jair Bolsonaro, soupçonné d’interférences dans des investigations policières concernant certains de ses proches.

Ces propos outranciers n’ont pas surpris. Le président d’extrême droite est connu pour avoir minimisé dès le début la gravité de l’épidémie. Refusant le confinement, il a donné la priorité à l’économie au détriment de la santé. « Dans ses pratiques politiques, Jair Bolsonaro mobilise des ressorts caractéristiques d’une grande partie des leaders populistes au pouvoir dans le monde, analyse Mélanie Albaret, enseignante-chercheuse en sciences politiques, spécialiste du Brésil. Ces mécanismes s’inscrivent dans la continuité de logiques déjà présentes avant la crise sanitaire, qui ont conduit à la militarisation du pouvoir et des glissements successifs vers un régime autoritaire et répressif. »

Attaque contre la Constitution

Pour André Singer, chercheur et professeur en sciences politiques à l’université de São Paulo (USP), Jair Bolsonaro a profité de la pandémie pour accélérer le processus d’érosion du régime démocratique. « À l’inverse d’autres leaders, il n’a pas utilisé les mesures d’isolement pour élargir son pouvoir. Au contraire, il s’est positionné en faveur de la liberté de circulation des citoyens pour aller travailler. Il a critiqué les gouverneurs et les maires ayant préconisé aux gens de rester chez eux, conformément aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). » En agissant de la sorte, le leader d’extrême droite a « cherché à remettre en question les fondements de la Constitution de 1988, qui prévoit la répartition des responsabilités entre l’État fédéral et les pouvoirs locaux ».

Au mois de mai, les critiques ont laissé place aux tensions. En cause notamment, plusieurs menaces de destitution planant sur Jair Bolsonaro, dans le cadre de différentes procédures judiciaires. L’une d’elles a mené la police à procéder à des perquisitions chez une trentaine de blogueurs. Ces chefs d’entreprise, militants ou députés, tous proches du clan présidentiel, sont soupçonnés d’avoir participé à la diffusion de fake news durant la campagne électorale de 2018.

L’opération policière a ulcéré Jair Bolsonaro. Son fils Eduardo, député fédéral, a appelé à « punir » les juges du STF responsables de l’enquête et à prendre une « mesure énergique » contre cette institution.

L’appel a été entendu par un groupe de militants pro-Bolsonaro, baptisé les « 300 du Brésil ». Le 3 juin au soir, ce groupe qui, selon Flávio Augusto Milhomem, procureur de la République, présente des « caractéristiques paramilitaires » s’est rendu devant le Tribunal fédéral suprême. Les militants ont proféré des menaces de mort à l’égard des membres de l’institution et lancé des feux d’artifice sur le bâtiment. Le président n’a pas réagi. Sur les réseaux sociaux, le groupe s’est autocongratulé à coup de messages sans équivoque : « Vous n’êtes plus des militants, mais des militaires. »

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Les populations indigènes abandonnées

« Les violences sont encore plus vives en milieu rural et dans les territoires indigènes où les populations sont abandonnées, et pas seulement au niveau sanitaire, par l’administration fédérale, souligne soeur Jeane Ann Bellini, membre de la Coordination exécutive de la Commission pastorale de la terre (CPT), partenaire du CCFD-Terre Solidaire. Les occupations illégales de terres y ont considérablement augmenté depuis le début de la pandémie. »

Elles sont particulièrement importantes en Amazonie, où « la police environnementale (Ibama) a réduit au strict minimum ses patrouilles, précise Adriana Ramos, de l’ONG Institut Socioambiantal. Officiellement, c’est pour protéger ses agents et éviter la contamination des indigènes. Mais beaucoup d’orpailleurs et de forestiers illégaux voient cette épidémie comme une opportunité pour tirer avantage de la situation. »

Conséquence ? En Amazonie, la déforestation et les incendies ont atteint des niveaux inégalés. En juin, selon l’Institut national de recherches spatiales (INPE), le nombre d’incendies a augmenté de 19,5 % par rapport à l’an passé. Quant à la déforestation, elle devrait continuer au même rythme qu’entre août 2019 et juin 2020, soit 1,5 km2 par heure. Et la situation pourrait encore empirer si le projet de loi, destiné à rendre plus flexibles les conditions de régularisation de propriétés établies illégalement, était adopté. « Il est en lecture au Congrès. Mais s’il était voté, souffle soeur Jeane, ce serait la porte ouverte à tous les abus ! »

Face à ces menaces, les citoyens et la société civile s’organisent et résistent. Dans les grandes villes, des groupes antifascistes se multiplient, regroupant des coursiers, des supporters de foot, des habitants de favelas ou des étudiants… Dans le monde rural aussi, la mobilisation est importante. « Nous apportons notre soutien à des communautés qui ne croient plus à l’aide de l’État et s’organisent pour trouver des solutions sanitaires et alimentaires. Elles vont même jusqu’à ériger des “barrières sanitaires”, pour éviter les risques de propagation du Covid-19 au sein de leurs communautés », indique soeur Jeane, de la CPT.

« Dès le début de la pandémie, explique Gil Alvarenga, responsable du Collectif de projets, au sein du Mouvement des paysans sans terre (MST), tout en respectant un confinement strict, nous avons décidé de mettre à profit cette période pour augmenter notre production. Et, en concertation avec d’autres organisations, nous avons distribué les aliments produits aux populations vulnérables, dans les campagnes et dans les quartiers périphériques des grandes villes. Nous sommes également impliqués dans la campagne “Expulsions zéro” menée par le Conseil national des droits humains, qui milite, avec l’appui de l’Onu, pour le droit à un toit, particulièrement important en ces temps de pandémie. »

Quant à l’Articulation nationale pour l’agroécologie (Ana), autre partenaire du CCFD-Terre Solidaire, elle réfléchit déjà aux enseignements à tirer de la pandémie. « Cette crise démontre que les organisations rurales sont capables de répondre à de nombreux défis, assure Paul Petersen, coordinateur de l’Ana. Il faut désormais fédérer nos projets, tout en conservant notre diversité, pour proposer des solutions alternatives collectives au modèle de développement économique et agricole inique porté par ce gouvernement antidémocratique, à la solde de l’agrobusiness. »

Par Jean-Claude Gerez

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