Eve-Marie, bénévole de longue date à Calais, aide Robel à écrire son texte

Eve-Marie, bénévole de longue date à Calais, aide Robel à écrire son texte

A Calais : l’accueil des personnes migrantes sur le fil

Publié le 25.10.2023| Mis à jour le 10.01.2024

Partout en France, des bénévoles proposent un « accueil citoyen » aux personnes en situation d’exil. Des hommes, des femmes et des enfants sont logés dans ce qui devient, pour quelques heures ou quelques mois, leur foyer. En 2022, l’association Toiles, partenaire du CCFD-Terre Solidaire, crée un réseau des maisons accueillantes. Reportage à Calais (Hauts-de-France) aux côtés des bénévoles de La Margelle et de la maison Maria Skobstova.

Sœur Joëlle Staquet prend le temps d’écouter les bénévoles de la maison Maria Skobstova. Photo Audrey Chabal

Sœur Joëlle Staquet interrompt son récit. En jean-­baskets et discrète croix de bois autour du cou, elle s’enfonce dans son siège. « Ça vous met dans l’ambiance Calais », lance-t-elle à mi-voix en pointant du menton une ribambelle d’uniformes qui déambule dans les allées du TGV Paris-Boulogne-sur-Mer. Calais n’est plus très loin. La frontière non plus. Avec comme horizon, pour les personnes migrantes, la Manche, bras de mer tendu vers l’espoir d’un avenir meilleur. Fin juin, plus de 10 000 personnes avaient déjà atteint les côtes britanniques depuis le début de l’année 2023. Et en 2022, 45 000 ont effectué la traversée. Certaines « passent ». D’autres restent. Les plus malchanceux ne reviennent pas de ce périple – à Calais, 367 personnes sont mortes depuis 1999.

L’espérance nous permet de ne pas chercher de résultat, et la foi d’avoir une certaine résilience

Sœur Joëlle Staquet, bénévole

Sur leur route, des aidants leur ouvrent leur porte. Pour quelques heures, parfois quelques mois. À Calais, quatre structures font partie de Toiles, le réseau des maisons accueillantes, partenaire du CCFD-Terre Solidaire. Il en existe une vingtaine sur l’ensemble du territoire. Chacune indépendante dans leur fonctionnement, mais partageant le même sens de l’accueil. Géraniums aux fenêtres, une maisonnée proprette louée à prix d’ami au Secours catholique. « Ce qui me plaît, c’est le fait de vivre avec. Ici, c’est la maison des migrants », précise Joëlle.

Une manière de concevoir sa vie religieuse en adéquation avec sa congrégation. Petite sœur de l’Évangile de Charles-de-Foucauld, Joëlle Staquet a passé sa vie à partager celle des autres. Après deux missions de neuf mois chacune à Calais, dans la maison Maria Skobstova, fondée en 2016, elle vit désormais dans sa communauté parisienne, travaille comme assistante sociale dans un centre d’hébergement d’urgence, et revient un week-end sur deux à Calais.

« Se sentir en sécurité »

Il est 9 h 30 en ce vendredi de juillet. Joëlle sonne, les bras s’ouvrent. Ieva, une Lettonne de 25 ans à l’anglais nordique et au sourire doux, a vécu six mois à Maria Skobstova. Elle aussi revient aider ponctuellement. Derrière elle, Marguerite, une Hollandaise de 24 ans, bénévole pour six semaines. Et puis, dans la pièce principale de cette maison de ville, des enfants. Sept au total, d’une même fratrie, âgés de un à quatorze ans. C’est l’heure du petit déjeuner pour eux. L’heure de faire le point autour d’un café dans la cour pour les bénévoles. Cette famille originaire du Soudan du Sud est arrivée la veille, vers 19 h 30, réorientée par The Refugee Women’s Centre. Marguerite, étudiante en langue arabe, a pu échanger un instant avec le père qui s’inquiétait d’être séparé de sa femme et de ses enfants. Il est hébergé à La Margelle, une autre maison accueillante à quelques centaines de mètres de là. La maison Maria Skobstova reçoit essentiellement des femmes et des enfants. Pour les pères, l’accueil n’est pas systématique. « Nous préférons observer comment l’homme se comporte avec son épouse et ses enfants avant de les réunir », précise Joëlle qui estime ainsi protéger les femmes de compagnons violents ou de passeurs.

Voilà le mari qui arrive, accompagné par un bénévole de La Margelle qui en profite pour déposer quelques vivres récupérés dans un hangar interassociatif. La famille est hagarde, comme sonnée par ce qu’elle vient de vivre et par ce soudain sas de décompression. Dans la maison, personne ne pose de questions sur leur parcours, d’où ils viennent, où ils vont. « S’ils souhaitent raconter, nous écoutons », indique Ieva. À la différence d’autres structures du réseau, la maison Maria Skobstova ne fournit pas d’accompagnement juridique aux personnes migrantes. Et comme toutes, elle ne juge pas. « Nous n’avons pas de solution, ce que nous pouvons leur offrir, c’est une expérience positive dans un parcours d’exil. Un endroit où elles puissent se sentir en sécurité, même si ce n’est que temporaire.

Le plus dur est de les voir revenir, en pleine nuit, trempés et traumatisés. Ça, on ne s’y habitue jamais

Sœur Joëlle Staquet, bénévole

Impossible en effet de prétendre avoir une quelconque solution face à des « situations extrêmes » sans se casser les dents sur l’absurdité du monde. Il en va ainsi de l’histoire de ­Mohammed, un immense Soudanais qui entre dans la cuisine avec son bonnet et ses yeux intenses. Il prépare un biberon. Sa femme et leurs trois enfants ont été accueillis à la maison Skobstova. Jusqu’à ce qu’ils décident de « passer ». La mère et les deux aînés de cinq et trois ans sont montés à bord d’un bateau de fortune. Le père et le bébé de huit mois n’ont pas réussi. Ils sont revenus à la maison, Mohammed fou d’inquiétude avant d’apprendre que les êtres aimés étaient sains et saufs, en Angleterre. Puis, il a dû sevrer son nourrisson. Ils devront tous deux retenter la traversée pour rassembler cette famille désormais sur deux rives. « Pas ce week-end, il va pleuvoir », anticipe Joëlle. En attendant, l’homme savoure pleinement ce tête-à-tête de quelques jours avec son bébé.

« Calais, c’est usant »

« Le plus dur est de les voir revenir, en pleine nuit, trempés et traumatisés. Ça, on ne s’y habitue jamais », souffle Joëlle qui surveille la santé psychique des bénévoles. La sœur vient désormais pour cela et pour entretenir de bonnes relations avec le voisinage. « Calais, c’est usant », admet-elle. Mais à la différence de nombre d’associations, ce qui est particulier dans cette maison, c’est la dimension spirituelle. « L’espérance nous permet de ne pas chercher de résultat, et la foi d’avoir une certaine résilience. » Les bénévoles sont nombreux à être envoyés par la communauté de Taizé, ils sont donc de fervents croyants et ont une habitude de la vie en communauté. Mais cela ne suffit pas à « tenir ».

Il faut mettre de petites choses en place pour prendre soin d’eux afin qu’ils puissent prendre soin des autres. Alors, 24 heures de repos par semaine et fermeture de la maison de 13 à 17 heures deux fois par semaine pour permettre aux deux bénévoles qui vivent sur place d’avoir un instant à eux. Les missions sont de quelques mois maximum. Sauf pour ce couple d’Américains, Rachel et Joseph et leurs deux enfants de huit et cinq ans. Ces mennonites de Minneapolis sont envoyés par leur Église pour deux ans en mission à Calais. Ils habitent en famille, à part. « En Europe, nous sommes des migrants qui aidons les migrants », s’amuse Joseph. La famille a un visa touristique et constate sa chance. « Nous avons choisi d’être ici et n’aurons pas à être dans ces situations. Mais ça aurait pu être nous, et d’une certaine manière, nos ancêtres ont vécu cela, il ne faut pas l’oublier. »

Dans le salon, orné de dessins d’enfants et de représentations religieuses, un atelier de peinture s’organise. Les marmots jouent sans bruit, peignent des oiseaux, des fleurs et des cœurs. Leur mère, rassurée par une bénévole, ose utiliser la cuisine. Le midi, c’est repas libre, chacun cuisine et fait ce qu’il veut. Le soir, bénévoles et personnes accueillies dînent ensemble dans ce que la famille d’Américains a surnommé « la maison des amis »1.

Audrey Chabal
Photos Sidonie Hadoux

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