Génocide à Gaza : que dit le droit international? (FAQ)

Publié le 11.03.2024| Mis à jour le 08.04.2024

Crédit photo : Nour Arafa

La Cour internationale de justice (CIJ) a rendu son avis le 26 janvier 2024 sur la première partie de la requête déposée le 29 décembre dernier par l’Afrique du Sud qui accuse Israël de « génocide » dans la bande de Gaza.

Mais pourquoi l’Afrique du Sud a-t-elle saisi la CIJ et pas la CPI? Quelle est la définition d’un génocide? Quelles différences avec un crime de guerre ou un crime contre l’humanité? A quoi sert l’avis de la CIJ?

On a posé toutes ces questions à Pascal Turlan, expert en droit international et ancien conseiller au Bureau du procureur de la CPI. Eclairage.

Pourquoi l’Afrique du Sud a-t-elle saisi la CIJ ?

Pascal Turlan : L’une des missions de la CIJ est de faire respecter les conventions internationales par les États, dont, ici, la Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide qui date de 1948.

Toutes les parties à cette convention peuvent intervenir pour demander leur respect, car elles sont garantes de sa bonne application.

Cette procédure vise donc les entités nationales, mais non les personnes physiques. Les accusations concernant ces dernières relèvent en effet de la CPI (Cour pénale internationale).

Pourquoi la plainte porte-t-elle sur le crime de génocide ?

Parce que cela constitue le crime pour lequel une convention internationale existe. Ce qui n’est pas le cas pour les crimes contre l’humanité, qui ne font pas l’objet d’une telle convention ni pour les crimes de guerre.

En revanche, le jugement potentiel des responsables individuels de ces trois crimes est tout à fait possible en parallèle devant la CPI.

Une demande a également été déposée devant cette juridiction par l’Afrique du Sud avec d’autres États. Cette procédure concerne l’ensemble de l’État de Palestine – Cisjordanie, bande de Gaza et au-delà –, car si celui-ci n’existe pas formellement, il a existé et il est donc reconnu. Une enquête est ouverte par le procureur de la CPI depuis 2021. L’escalade actuelle et la difficulté d’accéder au territoire et aux preuves rendent celle-ci très difficile.

Quelles sont les différences entre le crime de génocide, le crime de guerre et le crime contre l’humanité ?

Définition du crime de génocide :

Sont ainsi concernés le meurtre de membres d’un groupe, des atteintes graves à leur intégrité physique ou mentale, leur soumission intentionnelle à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle, des mesures visant à entraver les naissances, ou le transfert forcé d’enfants du groupe.

Définition du crime contre l’humanité

Si le crime contre l’humanité peut être lui aussi commis avec l’intention d’attaquer une population, il ne s’agit pas dans ce cas d’un groupe particulier visé en tant que tel. La liste des actes pouvant constituer un crime contre l’humanité dans les textes est plus large : elle inclut le meurtre, l’extermination, la déportation ou le transfert forcé, la mise en situation d’esclavage, l’emprisonnement ou encore les violences sexuelles, la torture, la persécution d’un groupe, les disparitions forcées, le crime d’apartheid, et toutes autres formes d’actes inhumains.

Pour le crime de génocide, comme pour le crime contre l’humanité, il n’y a pas nécessairement de lien avec un conflit armé en cours. Ce qui est jugé, ce sont certains actes prohibés menés dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique contre une population civile, pour les crimes contre l’humanité ; ou avec une intention particulière de détruire un groupe, pour le génocide.

Définition des crimes de guerre

En revanche, pour qu’il y ait crimes de guerre, il faut qu’il y ait un conflit et qu’il y ait violation du droit international humanitaire.

Le droit international humanitaire vise à réguler la manière dont les parties à un conflit doivent se conduire.

Parmi les principes dont la violation peut constituer des crimes de guerre, on retrouve trois principaux éléments :
le principe de proportionnalité des dommages qui ne doivent pas être excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct recherché ;
le principe de distinction entre les combattants et la population civile ;
– enfin, est évalué si des mesures ont bien été prises et mises en œuvre pour protéger les populations civiles.

Attention toutefois : le droit international humanitaire n’interdit pas a priori les attaques contre des objectifs militaires qui auraient fait des morts civiles.
Mais il faut que l’attaque soit bien limitée à ce qui est militairement nécessaire, que des cibles militaires soient bien identifiées sur les lieux et justifient, de ce fait, l’offensive et que toutes les mesures aient bien été prises en amont pour éviter les dommages excessifs pour la population.

Comment interpréter l’avis rendu par la CIJ ?

L’ordonnance de la CIJ ne portait pas sur la demande sur le fond de l’Afrique du Sud, ce qui prendra probablement des années, mais sur sa demande en indication de mesures conservatoires, donc sur le fait qu’un acte de génocide soit « plausible ».

Elle a répondu à la requête de Pretoria d’ordonner à Israël de tout mettre en œuvre pour protéger les populations qui pourraient être victimes d’un génocide et de prévenir et punir la commission d’un tel acte et de tous les actes et propos de personnes publiques qui pourraient être en position d’inciter à la commission d’un génocide. Elle a réclamé en outre à l’État d’Israël de produire un rapport sous un mois, indiquant les mesures prises et appliquées pour prévenir le risque de génocide.

Quel pouvoir a la CIJ pour faire respecter l’effectivité de ces mesures conservatoires ? 

La CIJ peut imposer des mesures, et son ordonnance a un caractère obligatoire vis-à-vis des parties, qui ont par définition consenti à sa compétence, mais elle n’a pas de pouvoir de mise en œuvre propre – tout comme la CPI vis-à-vis des individus.

Les mesures ordonnées en l’espèce comprennent par exemple toutes mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire ainsi que pour prévenir la destruction et assurer la conservation des éléments de preuve relatifs aux allégations d’actes de génocide.

L’ordonnance de la Cour n’a en revanche pas mentionné l’obligation d’un cessez-le-feu, mais pour qu’Israël puisse mettre en œuvre les mesures ordonnées, il faudrait qu’il y ait une révision totale de la manière dont est conduite son intervention dans la bande de Gaza. Or ce n’est pas ce que l’on observe.

Si Israël ne met pas en œuvre les mesures de façon effective, ou ne rend pas le rapport, la seule possibilité de faire appliquer l’ordonnance de la CIJ serait pour l’Afrique du Sud de s’adresser au Conseil de sécurité de l’ONU pour qu’il recommande ou décide des mesures. Il y a peu de chances qu’elle le fasse, car la possibilité d’arriver à un accord entre les membres du Conseil de sécurité sur cette question est faible. Et ce qui est vrai pour les mesures conservatoires l’est aussi pour les jugements sur le fond, pour lesquels l’État ne peut pas faire appel.

Comme dans le cas de mandats d’arrêt émis par la CPI pour crimes de guerre ou crimes contre l’humanité, l’application de ces décisions dépend en réalité de la volonté des États de coopérer.

Ces saisines de la CIJ sont-elles alors symboliques ?

Oui et non.
Oui si on considère que la mise en œuvre effective de telles ordonnances est hypothétique. Comme lorsque la CIJ avait ordonné à la Russie de suspendre immédiatement ses opérations militaires en Ukraine le 16 mars 2022.
Non, si on élargit son point de vue : dans le cas de l’Afrique du Sud, il y a une volonté d’utiliser le cadre juridique qui a été mis en place depuis la 2e guerre mondiale pour montrer qu’il y a une force du droit. Celui-ci peut condamner les États et même si, dans les faits, il ne se passe pas toujours grand-chose, cette condamnation a un impact sur la situation et trace une ligne entre ce qui est licite et ce qui ne l’est pas, entre États souverains.

Pourquoi est-ce l’Afrique du Sud qui a déposé une requête?

Ce n’est pas un hasard si cette requête a été déposée par l’Afrique du Sud. L’Afrique du Sud, pays qui a subi l’apartheid a quelque chose à dire sur le crime de génocide.

Des pays dits du Sud sont eux aussi prêts à agir par le prisme du droit, comme ici en saisissant la justice internationale. Cette action fait en tous les cas bouger les lignes comme le montrent les réactions à la saisine puis à la décision de la CIJ.

Propos recueillis par Laurence Estival

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