Les larmes du fleuve Tigre en Irak #Grand Format
Source de vie de toute une région, le Tigre est en train de disparaître. Lauréate du Prix Photo Terre Solidaire, la photojournaliste Emily Garthwaite documente l’avenir incertain du fleuve en Irak et avec lui, celui des populations qui en dépendent. Elle témoigne de la mobilisation courageuse des activistes de la campagne “Save the Tigris“, soutenu par le CCFD-Terre Solidaire et porté par son partenaire, Humat Dijlah.
/
Retrouvez le reportage d’Emily Garthwaite et le CCFD-Terre Solidaire jusqu’au 9 octobre à la Biennale sociale et environnementale Photoclimat, Place du Palais Royal à Paris. Plus d’infos, ici.
LE TIGRE, SOURCE DE VIE DE TOUTE UNE RÉGION
Pour Emily, l’histoire de l’Irak s’écrit avec celle du Tigre. Situé au cœur du Moyen-Orient, le fleuve “Dijlah” de son nom arabe, a été le berceau de certaines des premières civilisations de notre monde. Sur plus de 1,500 km, le fleuve prend sa source en Turquie, traverse la Syrie, puis l’Irak, avant de se jeter dans le Golfe Persique. Des affluents du Tigre prennent également leur source en Iran.
Avec son jumeau, l’Euphrate, le Tigre prolonge le “Croissant fertile” en Mésopotamie et irrigue depuis des millénaires des populations de bergers, de pêcheurs et d’agriculteurs.
Les sœurs Zhere, Hana, Teba et Ameera posent dans le champ de blé à côté de la ferme familiale, situé sur les rives du Tigre à Mossoul. Grâce à la proximité du fleuve, leurs parents cultivent du chou en hiver et de la salade au printemps.
Mais aujourd’hui, le Tigre — source de vie de toute une région— agonise. Entre les barrages construits en amont, la pollution en aval et le dérèglement climatique, le fleuve s’assèche et se dégrade à vue d’œil.
L’AGONIE D’UN FLEUVE MILLÉNAIRE
En amont, la folie des barrages
Traversant une région aride, les ressources en eaux du Tigre sont convoitées et disputées par les pays qui le bordent. Depuis les années 1970, la Turquie et l’Iran en amont construisent des barrages à la pelle, affectant considérablement le débit du fleuve en aval.
En 2022, le niveau du Tigre lorsqu’il arrivait de Turquie, n’était qu’à 35 % de la quantité moyenne qui se déversait en Irak au cours des 100 dernières années.
Dans la région de Salah Ad-Din, Fares tire les rideaux dans son palais situé dans la ville de Tikrit. Jadis, chaque fenêtre offrait une vue imprenable sur le Tigre. Désormais, on ne l’aperçoit plus tant son niveau a diminué, passant d’1 km à 275 mètres seulement.
L’Irak, un pays parmi les plus exposés au dérèglement climatique
L’Irak — qui fait partie des 5 pays au monde les plus exposés au dérèglement climatique, d’après l’ONU — est frappé par des vagues de chaleur extrême allant jusqu’à 50 °C, alors que la pluie se fait de plus en plus rare. Ces chocs climatiques ne cessent de s’intensifier et contribuent à l’assèchement du fleuve.
L’évaporation du Tigre laisse derrière elle des vaste étendues de terre craquelées et assoiffées qui gardent en mémoire les traces de son passage passé.
Sur les rives du Tigres à Mossoul, on comptait de nombreux baigneurs dans cette source d’eau sulfurée, réputée pour ses vertus thérapeutiques. Et cela, même pendant la guerre. Désormais, il ne reste plus rien à part un maigre filet d’eau qui paraît gelé.
En aval, le rejet des déchets contamine le restant du fleuve
Assoiffé, le Tigre souffre également de l’aggravation de la pollution en aval. En Irak, la gestion des déchets toxiques et des eaux usées est peu réglementée. Ces derniers se déversent régulièrement sur les rives et contaminent les eaux du Tigre, causant d’importants désastres environnementaux et sanitaires.
Dans le village de Jaykur, un canal contaminé stagne le long de la rivière Chatt Al-Arab. Ce village vivait autrefois de la pêche et de l’agriculture, avant que les usines de pétrole et de brique ne s’implantent et polluent la rivière.
Si l’eau est encore utilisée pour les besoins des fermes, les arbres et les vergers meurent à cause de sa toxicité. En à peine une heure passée dans ce village, Emily a rencontré quatre personnes atteintes du cancer.
UN JOYAU DE BIODIVERSITÉ MENACÉ
Un écosystème bouleversée par la remontée de la mer
La baisse du débit du fleuve affecte tout un écosystème fragile et bouleverse la vie des populations qui en dépendent. À l’embouchure du Tigre et de l’Euphrate, la mer s’infiltre dans le delta du Chatt Al-Arab (“la Rivière des Arabes“) et salinise l’eau.
Quelques carpes et barbeaux sèchent au soleil, dans un marché de Bassora. Ces espèces de poisson d’eau douce, très prisées des pêcheurs, désertent peu à peu le Chatt Al-Arab à cause de l’augmentation de la concentration en sel.
Elles sont remplacées peu à peu par des espèces évoluant, normalement, en haute mer.
Prise au piège dans le filet d’un pêcheur, cette tortue à “carapace molle” — une espèce considérée comme menacée — gît morte sur les rives du Tigre. De plus en plus de tortues remontent le fleuve et se nourrissent des poissons d’eau douce. Devenues un véritable fléau pour les pêcheurs, certains les tuent volontairement avant de les rejeter en mer.
La disparition des Marais de Mésopotamie, un trésor millénaire
L’assèchement du fleuve et l’augmentation de la salinité de l’estuaire entraînent également la disparition des mythiques Marais de Mésopotamie, qui ont survécu à la pression guerrière sous Saddam Hussein. Classées au patrimoine mondial de l’UNESCO, ces vastes étendues marécageuses sont souvent comparées au “Jardin d’Eden”. Véritable trésor historique et naturel, les marais ont déjà perdu environ la moitié de leur superficie.
Abbas Hassan navigue dans les marais d’Hawizeh, sous les couleurs flamboyantes du coucher du soleil. Ici, l’eau atteignait jadis plusieurs mètres de haut encore. Désormais, les bateaux s’enlisent régulièrement, remuant la vase polluée.
Les “Arabes des Marais” y perpétuent un mode de vie traditionnel qui remonte à l’époque sumérienne ; s’installant dans des huttes en roseaux et utilisant les canaux d’eau pour se déplacer.
LES “ENFANTS” DU TIGRE SE MOBILISENT
L’avenir d’une région millénaire
La pollution et la disparition du Tigre menacent la vie des 30 millions de personnes qui vivent sur le bassin-versant du fleuve. Après avoir connu l’horreur des guerres, de nombreuses communautés sont désormais contraintes de quitter leurs terres ancestrales à cause de l’affaiblissement des ressources.
Le Cheik Nayif marche avec son fils dans la cité d’Hatra, vielle de 2 000 ans. Sur le bas-côté, des voitures brûlées par les tentatives d’assassinat de Daesh sont laissées comme des souvenirs douloureux de la guerre. Père et fils portent le futur de cette région millénaire sur leurs épaules, car ils délèguent toutes les décisions concernant la gestion des eaux.
Emily est allée à la rencontre des nombreuses communautés du fleuve cheiks, bédouins, kurdes, chiites, pêcheurs, activistes— qui se mobilisent, bravant les risques de la répression pour préserver leur patrimoine millénaire.
« Save the Tigris » : le cri de la résistance
Hajer (à gauche) et Bassam Al-Sheik (à droite) militent pour les droits des femmes et l’environnement en Irak. Travailleuse sociale, Hajer vient notamment en aide aux enfants de personnes déplacées. “Mon père ne m’a jamais traité comme une fille, il me traitait comme une guerrière”, confie-t-elle à Emily. Travailleur social et fondateur de la Ninevah Women’s Organisation, Bassam est volontaire auprès de l’association Humat Dijlah, partenaire du CCFD-Terre Solidaire.
À travers ses actions de mobilisation et de plaidoyer, Humat Dijlah plaide pour des politiques qui garantissent un accès et une utilisation durable et équitable des eaux du Tigre pour toutes les populations de Mésopotamie et les générations à venir. En 2012, l’association porte la campagne Save the Tigris, (“Sauvons le Tigre”), lancée par une coalition d’activistes mésopotamiens et internationaux. Celle-ci vise à protéger le Tigre des barrages et des autres mégaprojets dévastateurs.
Au lieu d’être une source de rivalité, l’eau doit être un enjeu de paix et de coopération entre les pays du bassin du Tigre et de l’Euphrate.
Emily Garthwaite est une photojournaliste britannique primée à l’international. Installée en Irak depuis 2019, elle mène un travail au long-court pour documenter les cultures et les modes de vie en résistance dans un pays profondément fragilisé par les guerres et le changement climatique. En 2022, elle reçoit le Prix Photo Terre Solidaire pour sa série “Light Between Mountains“. Grâce à ce soutien, elle poursuit son travail engagé en Irak, le long du fleuve Tigre et illustre les combats portés par le CCFD-Terre Solidaire dans cette région.
Pour aller plus loin :
Irak : et au milieu pleure le Tigre… (un article à découvrir dans Polka Magazine)
avec le CCFD - TERRE SOLIDAIRE
J'agis
J'ai 1 minute
Partagez et relayez nos informations et nos combats. S’informer, c’est déjà agir.
Je m'informe
J’ai 5 minutes
Contribuez directement à nos actions de solidarité internationale grâce à un don.
Je donne
J’ai plus de temps
S'engager au CCFD-Terre Solidaire, c'est agir pour un monde plus juste ! Devenez bénévole.
Je m'engage