Premrudee Daoroung, l’engagement pour le Mékong chevillé au corps

Publié le 03.03.2023

Depuis trente ans, Premrudee Daoroung, militante thaïlandaise, coordinatrice du Lao Dam Investment Monitor, partenaire du CCFD-Terre Solidaire, encourage la coopération entre les activistes des pays riverains du Mékong.

On connaît cette figure de la société civile par ouï-dire. Et Premrudee Daoroung, quinquagénaire thaïlandaise, est telle qu’on nous l’a décrite. Efficace, précise et organisée. Un dosage subtil entre manières diplomatiques et conviction inflexible. Preuve de cette pugnacité : depuis bientôt trente ans, elle questionne le bien-fondé des barrages hydroélectriques sur le Mékong.

Quels sont leurs impacts sur les populations locales ? Quid de l’accès aux ressources ? À qui profitent ces projets ? En tant que coordinatrice du Lao Dam Investment Monitor (LDIM, partenaire du CCFD-Terre Solidaire), elle interpelle les bailleurs de fonds : Banque mondiale, Banque asiatique de développement et le secteur privé. Elle alerte les médias et mobilise les associations partenaires. Au cœur de ses préoccupations : réclamer un autre type de développement en vertu duquel les citoyens et les populations locales seraient écoutés, leurs ressources naturelles préservées.

Lors de l’ouverture du MAEW, en septembre 2022, des artistes expriment leur défiance face à la monarchie. Quasiment un crime de lèse-majesté, très sévèrement puni dans le royaume thaïlandais. Soutenant les artistes, Premrudee prend la parole pour défendre la liberté d’opinion.

Faire vivre la coopération régionale entre militants

Premrudee a commencé à travailler sur ces sujets en 1988 au sein de l’ONG thaïlandaise Towards Ecological Recovery and Regional Alliance (TERRA).

L’ambition de son fondateur, Witoon Permpongsacharoen, militant thaïlandais pour l’environnement, était de fédérer les mouvements citoyens dans les pays du bord du Mékong et d’éviter au Laos et au Cambodge, notamment, de reproduire les erreurs commises en Thaïlande. TERRA n’existe plus, mais sa mission demeure, car Premrudee s’attelle à faire vivre la coopération régionale entre les militants.

Cet enjeu s’incarne au sein du Mekong Asean Environnmental Week, (MAEW), le rendez-vous annuel qu’elle organise (voir EDM n° 323), dont l’idée est née au lendemain de l’Asean People Forum au Myanmar en 2014. « J’étais coordonnatrice de ce forum de la société civile en marge du sommet de l’ASEAN. C’était la première fois que les ONG se retrouvaient au Myanmar, après la fin de la dictature. C’était un moment très particulier. À l’issue de cette rencontre, nous avons demandé la mise en place d’un quatrième pilier de l’Asean sur les questions environnementales », explique-t-elle. Depuis, les militants de la région se retrouvent au sein du MAEW.

On la taquine sur la sonorité de l’acronyme du Forum qui se rapproche du cri du chat. Rien d’étonnant, sourit-elle. C’est le résultat de son affection pour les félins. Elle en héberge sept chez elle, souvent des animaux errants qu’elle recueille. « Je perds parfois le compte du nombre de mes colocataires », admet-elle. Pas question en revanche de laisser se déliter les relations avec ceux qu’elle appelle « les amis », activistes des rives du Mékong. « Je peux le faire, car je connais les sujets et les militants depuis si longtemps. » La lutte contre les barrages hydroélectriques ? Un combat rude et de maigres victoires. Car le gouvernement laotien se positionne comme la pile électrique de la région avec plus de 350 projets.

Une nouvelle génération d’activistes au Cambodge

Mais Premrudee relève des signes d’espoir : « Du côté du Cambodge, nous avons de bonnes nouvelles. Il y a une nouvelle génération d’activistes très combative. Et la justice thaïlandaise va poursuivre Mithr Phol, le géant thaïlandais du sucre pour les violations des droits humains au Cambodge. C’est une victoire. »

Comment travaille-t-elle ? « Je ne suis pas une tête brûlée, dit-elle. Nous ne faisons pas les choses clandestinement. » Un exemple parmi d’autres : à l’ouverture du MAEW, en septembre 2022, des artistes expriment leur défiance face à la monarchie. On frôle le crime de lèse- majesté, très sévèrement puni dans le royaume thaïlandais. Dans l’assistance se trouvent des membres de la police secrète. Soutenant les artistes, Premrudee prend la parole pour souligner l’importance de la liberté d’opinion. Même pas peur ! Elle a l’habitude de vivre sous surveillance. Quand elle était à la faculté, son rôle de présidente de l’association des étudiants dérangeait. « Des amis de ma mère, se souvient-elle, lui ont dit : “demande à ta fille de faire attention, c’est dangereux.” » En vain.

En tant qu’activiste, personne ne peut nous acheter. Nous faisons peur, car nous n’avons rien à perdre.

Les militants traqués sans relâche d’un pays à l’autre

Aujourd’hui, la coordination entre les polices des différents pays de la région s’est renforcée. Les militants pour les droits de l’homme ou les questions environnementales sont traqués sans relâche d’un pays à l’autre. « On assiste à des disparitions forcées en pleine journée », regrette-t-elle. Un sujet qui l’émeut tant, la disparition de son ami Sombat Somphone, le 12 décembre 2012 laisse un vide. Les dernières images connues de cet acteur central de la société civile laotienne le montrent escorté par la police. Depuis dix ans, aucune nouvelle. Le gouvernement nie toute implication. Pour Premrudee, c’est la perte d’un grand frère. Une tristesse profonde d’autant plus aiguë qu’elle considérait le Laos comme sa deuxième maison.

À 27 ans, elle y est envoyée comme représentante de TERRA. On est en 1993, le pays s’ouvre peu à peu après 25 ans de régime socialiste. « J’ai eu le meilleur de ce qu’était ce pays », se réjouit-elle. Les forêts n’avaient pas encore été coupées, le mode de vie des minorités ethniques était sauvegardé. Intégrée au département des Eaux et Forêts, la jeune femme s’efforce de convaincre ses homologues laotiens de préserver les ressources. « Elle avait la personnalité pour tenir ce rôle si délicat. Elle savait comment parler aux officiels laotiens, le ton qu’il fallait employer », se souvient une ancienne collègue. Douce et diplomate, elle peut évoquer un point de conflit avec un sourire.

Désormais, sa voix se fait plus dure contre ses anciens collègues laotiens. Elle les a connus au début des années 1990, simples fonctionnaires. Aujourd’hui, ils possèdent trois voitures et plusieurs villas et dépensent sans compter. « Tu es plus socialiste que nous », la taquinent-ils.

« Pour moi l’argent n’a aucune importance », reconnaît-elle. En revanche, la notion d’engagement est inscrite dans son héritage familial. Ainsi de cet oncle, militant pour la démocratie dans le nord-est de la Thaïlande tué dans les années 1970 ; et de son père, un avocat, élu député à la fin des années 1970, dont la mort dans un accident d’hélicoptère n’a jamais été éclaircie. Premrudee a alors 17 ans. L’époque est encore à la guerre froide. La Thaïlande est un allié précieux des États-Unis et Washington s’accommode d’une dictature militaire. Les idées de gauche y sont mal vues.

La jeune fille avance, soutenue par sa mère qu’elle décrit comme un esprit libre. Après des études de sociologie et un court passage dans le journalisme, elle rejoint le monde des ONG. Elle passe une année en tant que volontaire au Japon avant d’être embauchée à TERRA. Elle est représentative d’une génération thaïlandaise ayant grandi dans la foulée des mouvements étudiants des années 1970, avide d’une société plus juste.

« En tant qu’activiste, personne ne peut nous acheter. Nous faisons peur, car nous n’avons rien à perdre. Si vous avez trop de choses entre vos mains, c’est une autre histoire », dit-elle. Elle marque un temps et ajoute : « Mais tout dépend, sans doute, de votre conception du bonheur. »

Christine Chaumeau

Lao Dam Investment Monitor (LDIM) est créé le 28 juillet 2018, 5 jours après l’effondrement du barrage Xe Pien-Xe Namnoy au Laos, qui a provoqué la mort de 70 personnes et a affecté la vie de plus de 7 000 Laotiens et de plus de 5 000 personnes au Cambodge. Secoués par la catastrophe, les milieux militants se mobilisent face à la prolifération de barrages hydroélectriques dans la région, et en particulier au Laos. LDIM joue un rôle d’animateur de réseau, de mobilisation et de plaidoyer. L’association veut remettre au cœur des campagnes de dénonciation, la voix des citoyens.

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