© Catalina Martin-Chico

© Catalina Martin-Chico

Le Pérou ne sera plus jamais comme avant

Publié le 09.05.2023| Mis à jour le 10.05.2023

Les manifestations qui ont secoué le Pérou entre décembre et février sont le signe d’une crise profonde et des inégalités qui divisent le pays. Carlos Augusto Herz Saénz, directeur du centre péruvien Bartolomé de las Casas soutenu par le CCFD-Terre Solidaire, nous raconte. 

60 morts

lors des manifestations

1000 blessés

de décembre à février

Quelle est la situation actuelle au Pérou ? 

Carlos Herz : Des soulèvements populaires s’organisent au Pérou depuis l’arrestation du président Pedro Castillo en décembre 2022. La répression a été extrêmement violente et sans précédent : plus de 60 morts dont  la plupart par balles de la police, plus de 1000 blessés, la plupart en état grave.

C’est la partie andine du pays, au Sud, qui est le centre de ces revendications. Des paysans se sont déplacés jusqu’à Lima pour manifester. Des réseaux de solidarité ont été mis en place pour les soutenir. Par exemple, ils ont été accueillis à l’Université de San Marco ou dans certaines églises. 

Le mouvement se nourrit du besoin de reconnaissance des petits agriculteurs indigènes des hautes terres

Comment expliquer la chute du président Castillo ? 

Il faut d’abord revenir sur son élection, il y a dix-huit mois. Pedro Castillo a été élu, au sud du pays, parce qu’il représentait le peuple indigène. Au nord, les électeurs ont surtout voté contre son adversaire, la fille de l’ancien président Fujimori. Castillo était pour eux un moindre mal. 

Une fois élu, le Parlement, à majorité de droite, l’a traité d’imbécile et n’a jamais vraiment reconnu son élection. Pedro Castillo a montré également son inexpérience de la chose publique. 80 ministres se sont succédé en 18 mois ! Mais il est certain que le Parlement n’a jamais eu la volonté de le laisser gouverner en paix. 

Pourquoi la nouvelle présidente n’arrive-t-elle pas à rétablir le calme ? 

Une fois que sa tentative de dissolution du Parlement a échoué, Pedro Castillo a été remplacé par sa vice-présidente, Dina Boluarte, une avocate quechua du même parti Pérou libre, d’obédience marxiste-léniniste.

Mais, elle montre, par son manque d’empathie envers le mouvement, qu’elle a choisi de s’allier avec le pouvoir du Parlement plutôt qu’avec le peuple.  

Ce mouvement est-il la preuve d’une fracture régionale dans le pays ? 

Lorsque des journalistes l’ont interrogé sur les manifestations dans la région andine du Puno, cœur culturel du Pérou, la nouvelle présidente a répondu « Puno n’est pas le Pérou ». Elle voulait ainsi relativiser ce mouvement. Elle a été obligée de s’excuser devant le tollé dans la région,  qui s’était sentie rejetée.  

Il est certain que le mouvement, dans le sud, se nourrit du besoin de reconnaissance des petits agriculteurs indigènes des hautes terres. Le sud représente le Pérou historique, un tiers au moins du pays. Il a le sentiment de ne jamais avoir été reconnu par Lima, la capitale, métis et européenne. 

Et le nord du pays, comment vit-il la crise ? 

La région au nord de Lima est moins perturbée par les blocages et les soulèvements. C’est là que se concentrent les productions pour l’exportation: l’avocat, les asperges, la canne à sucre, les pêcheries industrielles, l’or et le cuivre.  

Depuis la présidence Fujimori, dans les années 1990, la tradition syndicale est morte. Le tissu social a été rompu et les entreprises font appel à des sous-traitants, corvéables à merci, et qui ne peuvent pas faire grève. Le mot d’ordre de Fujimori était : « Faites ce que vous voulez, le gouvernement ne fera rien pour vous ! ». Ce président, aujourd’hui en prison, a affaibli la politique. 

Notre droite est la plus conservatrice d’Amérique latine

Quelle peut être l’issue à cette crise ? 

Il me paraît difficile que la présidente actuelle se maintienne. Elle ne veut pas comprendre que le pays est paralysé. L’Eglise luthérienne du Pérou a publié une déclaration où elle demande que la présidente quitte le pouvoir. 

Le risque est qu’une sorte de Caudillo surgisse de cette crise pour prendre le pouvoir. Au Pérou, nous n’avons pas une tradition démocratique, comme chez nos voisins. Nous avons été l’ultime colonie du continent à se séparer de l’Espagne. Notre droite est la plus conservatrice d’Amérique Latine.  Mais, une chose est certaine : après cette crise, le Pérou ne sera plus jamais comme avant.  

Quel est le rôle du centre Bartolomé de las Casas que vous dirigez ? 

Le centre Bartholomé de la Casas, soutenu par le CCFD-Terre Solidaire, comprend 70 salariés. Il a été fondé il y a cinquante ans par les Dominicains pour écouter, comprendre et porter la voix des peuples andins. Depuis Cuzco, notre rôle est de soutenir l’organisation de ces peuples pour de meilleures conditions de vie et une reconnaissance culturelle.

Nous menons ainsi des projets agroécologiques avec les communautés andines. Nous soutenons et formons les communautés de base, notamment sur le plan juridique. Nous sommes un partenaire historique du CCFD-Terre Solidaire. 

Cette explosion sociale, bien humblement, je dois reconnaître que nous ne l’avions pas vu arriver. Aujourd’hui, nous accompagnions le processus – en proposant, par exemple des hébergements aux leaders paysans -.  Des diocèses appuient notre action. L’Eglise s’est posée en médiatrice du conflit. Le nonce apostolique a eu des phrases fortes « le manque d’écoute est une violence » a-t-il martelé. 

Propos recueillis par Pierre Cochez

Lire aussi :

avec le CCFD - TERRE SOLIDAIRE

J'agis

J'ai 1 minute

Partagez et relayez nos informations et nos combats. S’informer, c’est déjà agir.

Je m'informe

J’ai 5 minutes

Contribuez directement à nos actions de solidarité internationale grâce à un don.

Je donne

J’ai plus de temps

S'engager au CCFD-Terre Solidaire, c'est agir pour un monde plus juste ! Devenez bénévole.

Je m'engage

Vous n'avez qu'une minute ?

Vous pouvez participer à la vie du CCFD-Terre Solidaire

Rejoignez-nous

Restez au plus près de l'action

Restez informés

Abonnez-vous à notre newsletter

Je m'abonne
Pour une terre sans faim, cultivez l'action du CCFD-Terre Solidaire
Je donne chaque mois