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Au Sénégal, la population vent debout contre la centrale à charbon de Bargny

Publié le 13.09.2018| Mis à jour le 08.12.2021

Au Sénégal, la construction d’une centrale à charbon suscite une forte opposition locale. Outre son impact sur le réchauffement climatique dont souffre déjà la zone, la centrale menace de pollution l’ensemble de la ville de Bargny. Le secteur de la pêche est particulièrement touché.


Rencontre avec Fatou Samba, présidente de l’association des femmes transformatrices de poisson. Ces femmes travaillent à quelques mètres à peine de la centrale. L’association est accompagnée par l’organisation Lumière Synergie Développement, membre du réseau WoMin soutenu par le CCFD-Terre Solidaire.

Située dans la région de Dakar, la ville de Bargny abrite une population de pêcheurs-agriculteurs. Les habitants se consacrent à l’agriculture lors de la saison humide et à la pêche lors de la saison sèche.
Ces cycles leur permettent d’assurer leur souveraineté alimentaire. Ainsi, libérés de toute dépendance alimentaire vis-à-vis de l’Etat, ils arrivent même à vendre leurs excédents de produits halieutiques aux pays voisins. Comme le précise Fatou Samba :

« Les Guinéens, les Maliens, les Burkinabés viennent acheter nos produits parce qu’ils n’ont pas d’océan. »

Mais en 2009, le gouvernement annonce qu’un terrain de 120 hectares a été vendu à la Senelec, Société d’électricité du Sénégal. Objectif : construire une centrale à charbon afin de produire de l’électricité.

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Accaparement des terres, pollution… Des conséquences désastreuses pour la population

L’enjeu foncier est crucial dans ce conflit. L’Etat a en effet octroyé au projet de centrale des terres qui appartenaient traditionnellement aux populations. De plus, avec le réchauffement climatique, les maisons les plus proches de la mer subissent la montée des eaux. Cela a conduit la municipalité bargnoise à déplacer certaines familles sur les terres aujourd’hui dévolues à la centrale. Ces familles expropriées se retrouvent sans solution alternative.

La centrale empiète également sur un terrain jusqu’ici occupé par une communauté de femmes transformatrices de poisson.
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« Nous sommes plus de mille personnes à travailler sur ce site. Nous ne comprenons pas comment nous pourrons continuer à produire des denrées alimentaires si la centrale ouvre. »

La question de l’impact sanitaire est aussi majeure. La centrale à charbon génèrera des déchets et des émissions de gaz toxiques. Une situation qui ne sera pas sans conséquences sur la santé des populations locales et des consommateurs des aliments transformés sur le site. Le gouvernement avait assuré que la centrale serait, pour cette raison, construite à l’extérieur de la ville. Il n’en est rien.

« Ils disent que la centrale est à deux kilomètres de Bargny mais elle est dans la ville, près de là où nous travaillons. Aujourd’hui, le bâtiment est construit et quand je suis fatiguée de mon travail, je peux même m’adosser au mur de la centrale pour me reposer ! »

La pollution reste une inquiétude d’autant plus grande pour les Bargnois que lorsque la centrale à charbon commencera à fonctionner, la ville se trouvera entre deux grandes industries polluantes. La région accueille déjà en effet une cimenterie émettrice de particules fines.

Un leurre économique

L’argument de l’impact économique positif de la centrale est souvent avancé pour défendre le projet. Pour Fatou Samba, c’est un leurre. Les emplois créés ne pourront pas être occupés par la population locale.

« La majeure partie des Bargnois en âge de travailler sont des pêcheurs. Or ce sont des gens qualifiés qui travailleront à la centrale, pas des pêcheurs. »

Sans oublier que le Sénégal est dépourvu de ressources en charbon. La centrale de Bargny fonctionnera donc grâce à du charbon importé d’Afrique du Sud. Un choix qui pose question, en matière d’écologie, d’économie, mais également en termes de droits fondamentaux.
En effet, les communautés minières d’Afrique du Sud doivent lutter pour le respect de leurs droits. Le réseau WoMin, auquel appartient l’organisation Lumière Synergie Développement, travaille d’ailleurs sur les conséquences de l’extraction minière sur la vie des femmes dans le pays.

La société civile bargnoise s’organise pour lutter contre le projet de centrale à charbon

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L’association de femmes transformatrices de poisson, présidée par Fatou Samba, a été la première à tirer la sonnette d’alarme, dès les prémisses du projet. Par le biais de projections vidéos organisées tous les soirs, les transformatrices sont parvenues à mobiliser l’ensemble de la population. Le mouvement de protestation prend peu à peu de l’ampleur.

« Au mois de mai 2017, on a fait un grand rassemblement de 5 000 personnes. »

Les Bargnois s’organisent pour mener aussi des actions juridiques. Ils exploitent notamment le système de sauvegarde des banques. En effet, les banques sont obligées de réaliser des études d’impact et de ne pas financer de projets qui nuisent à l’environnement et aux populations. En 2015, des plaintes sont déposées auprès des principales banques qui ont financé le projet, pointant du doigt des études d’impact falsifiées. Trois banques ont fait le déplacement pour constater la réalité du terrain.

Actuellement, des collectifs d’associations bargnois sont en train de créer un pôle d’avocats afin de porter plainte contre l’Etat du Sénégal. La société civile dénonce les manœuvres politiques de l’Etat, appuyé par le nouveau maire de la ville.

« L’ancien maire avait dit non à cette centrale. Mais depuis, il y a eu un hold-up électoral et le nouveau maire veut imposer sa volonté. »

Dans le collimateur des associations : des actes de corruption. Exploitant la vulnérabilité et l’ignorance de certains habitants dans le besoin, les promoteurs de la centrale auraient promis des financements en échange de leur soutien au projet.

Quelles réponses à la lutte ?

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Aujourd’hui, le projet est en phase de test. La centrale devrait prochainement commencer la production d’électricité.

Les plaintes déposées auprès des banques sont toujours en cours de traitement, mais il est peu probable qu’elles aboutissent. La Senelec, également interpelée par les Bargnois, n’a pas non plus apporté de réponse satisfaisante.

« La Senelec a reconnu que nos inquiétudes sont fondées. Mais on nous a aussi répondu que beaucoup trop d’argent avait été investi et qu’il était impossible de revenir en arrière… »

En attendant les réponses des banques et de la plainte qui sera déposée contre l’Etat, l’avenir des communautés de pêcheurs-cultivateurs demeure en suspens… Les femmes de Bargny, elles, ne comptent pas baisser les bras…

Solène Attab (propos recueillis par Violaine Plagnol)

Pour en savoir plus, regarder le documentaire de TV5 Monde consacré à ce sujet et diffusé en juillet 2018 :

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