Retour sur les révolutions arabes

Publié le 27.03.2014| Mis à jour le 02.01.2022

S’il est encore trop pour tirer leçons des bouleversements en cours en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, il est en revanche indispensable à ceux qui, comme nous, se réclament de la société civile internationale, d’interroger le rôle des organisations, mouvements et médias que nous soutenons en tant que partenaires dans cette partie du monde.


Les bouleversements de 2011 apparaissent comme le fruit d’une combinaison de facteurs. Ils font suite notamment à l’érosion des légitimités des États en place, en termes de projet national et social, les idéologies telles que le nationalisme et le socialisme ne faisant plus référence. Parallèlement, une maturation sociale s’est opérée avec le développement de l’éducation de masse. L’urbanisation et la mondialisation ont aussi fait naître des désirs, des besoins, sans pour autant les satisfaire.

D’autre part, l’exigence d’une reconquête du sentiment de dignité sociale et nationale s’est exprimée à travers des mots d’ordre relevant d’un idiome universel : dignité, liberté, justice… Faisant suite à l’immolation de Mohamed Bouazizi (le 17 décembre 2011 à Sidi Bouzid, en Tunisie, ndlr), c’est un appel général qui a retenti contre l’humiliation ressentie face au pouvoir des régimes autoritaires et des puissances étrangères, à l’arbitraire, à la mal-vie, à l’absence de perspectives pour les jeunes générations [[(1) L’Organisation internationale du travail recensait en 2010 des taux de chômage de plus de 23 %, chez les jeunes de la région.]].

UNE LAME DE FOND RÉGIONALE MAIS DES CONCRÉTISATIONS DIVERSES

Outre ces traits communs, un effet d’entraînement Outre ces traits communs, un effet d’entraînement a eu lieu d’un pays à l’autre. Avec la circulation de l’information, les régimes n’ont plus été en mesure de cacher la réalité, ce qui a encouragé la propagation de l’onde révolutionnaire et le partage de pratiques entre activistes.

Pourtant, malgré ces points de convergence, aucun peuple ne s’est revendiqué d’une révolution régionale. La spécificité des configurations nationales l’emporte partout, comme si chaque peuple devait d’abord se réapproprier son propre destin. En Algérie par exemple, la mémoire de l’ouverture démocratique arrachée par les révoltes de 1988 est durablement entachée par la guerre civile qui l’a suivie, expliquant partiellement pourquoi la mobilisation de 2011 n’a pas débouché sur un véritable mouvement de contestation.


UNE RUPTURE GÉNÉRATIONNELLE

Les événements de 2011 s’inscrivent dans un terreau nourri par des formes antérieures de militantisme. En Tunisie, grâce à ses « syndicats de base » qui ont toujours défendu une certaine autonomie, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) a conservé une crédibilité et une légitimité à travers le temps. Le soulèvement des travailleurs du bassin minier de Gafsa en 2008 sera d’ailleurs considéré a posteriori comme le prélude de la révolution de 2011, ce qui confère à l’UGT un rôle privilégié.

Ces révolutions marquent néanmoins une rupture majeure par rapport aux mobilisations passées. Avec une nouvelle classe d’âge qui a utilisé des modes d’action innovants caractéristiques d’un nouveau bouillonnement et des symboles ou mots d’ordre qui ne correspondent pas à ceux des militants d’autrefois. Les organisations plus classiques de la société civile ou de l’opposition politique semblent en effet souvent dépassées ou méconnues par les jeunes manifestants.

Dès lors, un des défi s posés par ces révolutions aux acteurs de société civile est la capacité des anciens à transmettre aux plus jeunes, mais aussi la capacité d’organisations expérimentées à fédé rer une nébuleuse d’acteurs dont les modes d’action et les référents diffèrent. Il s’agit, à terme, de construire une forme de collectif 3 pérenne et défi nie au-delà du sectoriel ou du sporadique.

Les nouveaux modes de mobilisation, mis en lumière pendant la révolution, rendent compte avant tout d’une demande d’espace public et d’un immense besoin de se faire entendre. L’occupation de l’espace à travers les marches, sit-in et rassemblements a permis de centraliser la lutte, de la rendre visible, de l’ouvrir à ceux qui hésitent et de donner une tribune à ceux qui n’ont pas d’autres formes de mobilisation, notamment aux invisibles du secteur économique (travailleurs informels, chômeurs) ou à ceux qui redoutent l’absence de débouchés (jeunes, étudiants). La plupart des manifestations étant partie des quartiers populaires, leur caractère social s’est d’autant plus affirmé.

LA CULTURE COMME FORME DE RÉSISTANCE

Par ailleurs, l’espace Internet a joué un rôle déterminant de catalyseur à travers l’utilisation des médias participatifs et des réseaux sociaux. Ces nouveaux médias ont permis de déjouer la censure, mais également de partager l’information à une plus grande échelle, attirant l’attention des médias étrangers et devenant ainsi une caisse de résonance des aspirations locales. Par son caractère moderne, anonyme et horizontal, Internet propose en outre de nouvelles modalités de mobilisation de masse qui touchent particulièrement une tranche d’âge peu encline à adopter les modes de mobilisation passés.

Les révolutions ont aussi libéré une forme de créativité nouvelle. Dans les sociétés qui connaissent une répression totale comme en Syrie, anonymes, plasticiens, vidéastes ont fait de la culture une véritable force de résistance comme en témoigne le site Internet « La Mémoire Créative de la Révolution syrienne » (2)[[http://www. creativememory.org]]

Si la portée politique des changements en cours reste limitée dans un certain nombre de pays, ce foisonnement d’innovations dans les modes d’action tend à montrer que le phénomène révolutionnaire actuel est essentiellement civil avant d’être politique (3) [[voir Pour en savoir plus ]]


L’ÉMERGENCE DU « SUJET » MODERNE

Les révolutions ont essentiellement porté une volonté de contestation des régimes en place, mais n’ont pas eu pour but la prise du pouvoir, ni la mise en place d’un projet idéologique ou politique précis. La primauté du slogan « Dégage ! » rend compte de cette réalité.

La capacité à proposer une alternative politique reste faible : néanmoins, une étape décisive a été franchie et trois ans après, le discours qui prévaut est qu’« il n’y aura pas de retour en arrière » et que les activistes refusent de se « faire voler » leur révolution. Lors de ces événements, une demande farouche s’est imposée : celle d’exister en tant qu’individu et citoyen.

En Égypte, où le changement de régime est loin d’être acquis, il s’est produit un changement de comportements à l’échelle de l’individu et du groupe social. « La révolution n’a pas changé le régime, mais elle nous a changés, nous. » En 2011, les jeunes coptes ont défi é la hiérarchie de l’Église en sortant dans la rue, en priant Place Tahrir aux côtés des musulmans, en revendiquant d’exister en tant que citoyens et non plus seulement en tant que « protégés ». Certes, l’élection d’un président islamiste et surtout les violences sectaires de l’été 2013 ont marqué un coup d’arrêt dans ce processus d’acquisition d’une citoyenneté partagée au-delà des spécificités identitaires, mais 2011 a sans doute représenté une étape cruciale à l’échelle de l’histoire récente de l’Égypte. Les femmes ont, elles aussi, défi lé massivement au Caire et ailleurs, négociant dans la sphère privée des aménagements de leur vie quotidienne, prenant des risques dans l’espace public pour s’affirmer, dénonçant de plus en plus des violences sexuelles, jusqu’ici largement tues.

Les récents bouleversements ont ouvert de nouvelles perspectives pour les acteurs de la société civile, sans pour autant encore marquer leur avènement comme force de transformation politique décisive. Ainsi, leur rôle dans la construction d’une alternative politique reste en suspens. À l’avenir, il faudra évaluer la capacité de chaque société civile à participer à la transition : soutenir l’émergence de systèmes politiques capables de supporter et même de favoriser l’alternance ; aider l’élaboration de projets démocratiques à travers l’écriture des constitutions et la conception de réformes de fond.

De ce point de vue, la Tunisie offre des perspectives d’avenir plus heureuses que l’Égypte. La société civile tunisienne participe effectivement à l’élaboration d’une culture du compromis, mais également à l’adoption d’une nouvelle Constitution garantissant des avancées remarquables vers un État civil. La société civile égyptienne peine en revanche à défendre son autonomie face au pouvoir, tandis que les fondements d’un « État profond » dominé par l’armée sont toujours à l’oeuvre et que la nouvelle Constitution porte la marque d’un projet de société ambigu.

Comme ailleurs dans le monde, la société civile ne pourra pleinement jouer son rôle de transformation sociale et politique que si elle parvient à la fois à constituer un garde-fou vis-à-vis du pouvoir, à forger une force de proposition capable de transcender le stade de la contestation, à incarner un porte-voix de la diversité de la société en faisant exister la pluralité des opinions et des identités et en donnant une représentation aux invisibles et aux laissés-pour-compte.

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