Insécurité alimentaire :
un tiers de la population mondiale concerné
Les indicateurs de la faim et de la malnutrition dans le monde ne sont pas revenus à leur niveau d’avant-Covid constate l’inquiétant rapport Sofi 2023 réalisé par la FAO. En Afrique notamment, l’urbanisation croissante tend à fragiliser encore plus les populations vulnérables.
C’est un ton de déception qui plane sur l’édition 2023 du très attendu rapport annuel Sofi de la FAO : l’agence onusienne pour l’alimentation et l’agriculture espérait que les indicateurs de la faim et de la malnutrition dans le monde, qui avaient bondi de manière très alarmante pendant la pandémie de covid, reviendraient à leur niveau d’avant.
Hélas, il n’en est rien. En 2022, 9,2 % de la population mondiale a souffert de sous-alimentation. Et si le chiffre se stabilise, par rapport à 2021 (9,3 %), c’est bien au-dessus de 2019 (7,9 %).
Ainsi, entre 691 et 783 millions de personnes ont connu la faim l’an dernier, soit 122 millions de plus qu’avant la crise covid — et l’on en attribue que 20 % aux conséquences de la guerre en Ukraine. Près de 30 % de la population mondiale (2,4 milliards de personnes), sont en insécurité alimentaire, d’abord des femmes et des habitants des zones rurales, et 42 % souffrent d’une alimentation déséquilibrée (sous ou sur-poids, maladies, etc.).
30%
9,2 %
Les pays où la faim augmente le plus
La situation continue de se dégrader en Afghanistan et au Moyen-Orient, ainsi que dans la Caraïbe, notamment en Haïti. Mais c’est en Afrique que l’insécurité alimentaire augmente et concerne désormais 60,9 % de la population.
En Afrique, l’urbanisation aggrave la crise alimentaire
Le rapport Sofi a mis l’accent cette année sur le phénomène de l’urbanisation, une nouvelle « méga-tendance » dont l’extension tend à estomper la frontière entre la ville et les campagnes environnantes.
Si les évolutions induites sur la demande et l’offre alimentaire, dans ce continuum, sont déjà bien visibles en Asie et en Amérique latine, elles s’accélèrent désormais en Afrique. L’étude en a analysé les conséquences dans 11 pays de continent, à budget alimentaire élevé (Côte d’Ivoire, Éthiopie, Mali, Nigeria, Sénégal) et bas (Bénin, Burkina Faso, Guinée-Bissau, Malawi, Niger, Togo).
Toujours plus de produits transformés
Et les conclusions viennent percuter l’idée reçue traditionnelle qui voudrait que la part achetée de la consommation alimentaire soit minime pour les ménages les plus ruraux, fréquemment paysans : au sein de la population du continuum rural-urbain, même éloignée d’un centre urbain, les achats alimentaires sont « étonnamment élevés » (plus de 50 %), supérieurs à l’auto-production (de 33 à 37 %), relève le rapport.
Le contenu des « paniers » tend à s’homogénéiser : les aliments transformés sont bien présents dans les marges rurales, même si c’est moins marqué que dans les centres urbains. La part de légumes, fruits, graisses et huiles diffèrent peu entre les différentes zones.
L’alimentation de moins en moins saine dans les campagnes
Cette dépendance croissante aux aliments achetés, dans les zones périurbaines et rurales, éloigne de plus en plus l’horizon d’une alimentation équilibrée. Un régime qui, bien que globalement moins onéreux, reste systématiquement moins accessible que dans les centres urbains, privilégiés par les canaux de commercialisation.
Le rapport a évalué que les ménages à faible revenu devraient doubler leurs dépenses pour s’assurer une alimentation saine, avec des conséquences sanitaires négatives d’autant plus marquées pour les enfants. Pour autant, les zones urbaines, dans plusieurs de ces pays africains, affrontent souvent des problèmes d’insécurité alimentaire modérée ou grave.
Les omissions du rapport SOFI
Lorine Azoulai, chargée de plaidoyer souveraineté alimentaire au CCFD-Terre SolidaireSi nous partageons le ton alarmiste de la FAO, nous n’en sommes pas moins sévères avec ses recommandations politiques, qui tranchent par leur faiblesse face à l’ampleur du problème.
L’objectif d’éradiquer la faim en 2030, comme souhaité par les Objectifs de développement durable de l’ONU semble s’éloigner définitivement.
En particulier, le rapport omet complètement la responsabilité de la spéculation financière sur la hausse des prix des denrées, qui a été particulièrement élevée en Afrique du Nord et de l’Est.
Par ailleurs, les mécanismes de régulation des systèmes agro-alimentaires ne sont pas évoqués, et l’agroécologie est quasiment absente de préconisations privilégiant le une « innovation technologique » peu compatible avec tout projet de système alimentaire résilient et encore moins souverain pour l’Afrique, entre autres.
Enfin, pas un mot sur l’asymétrie d’un rapport de force qui désavantage lourdement les ménages petits producteurs et les PME face à l’agroindustrie et ses intérêts.
Patrick Piro
Lire aussi : Les 4 absents du rapport Sofi
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