Economie bleue

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Economie bleue : dix questions pour comprendre les enjeux

Publié le 03.02.2023| Mis à jour le 05.04.2024

L’économie bleue se pare de toutes les promesses environnementales, sociales, durables pour favoriser les investissements économiques en milieu marin. Mais la réalité est bien loin d’être aussi satisfaisante. L’économie bleue pose de nombreux problèmes environnementaux et humains.

La sonnette d’alarme est venue d’Asie et d’Afrique. Les organisation de pêcheurs et les communautés littorales qui dépendent de la mer pour vivre et que nous soutenons ont commencé à faire remonter de nombreux problèmes. Elles ont commencé à s’organiser pour faire entendre leurs voix.

 Les ressources terrestres ont été exploitées au maximum de leurs capacités. La mer et ses ressources sont devenues une ultime frontière des politiques économiques libérales. Il reste donc les ressources sous-marines, surnommées “milliards engloutis”.

Jesu Rethinam directrice de SNEHA, organisation d’appui aux pêcheurs artisans, partenaire du CCFD-Terre Solidaire, basée à Nagappattinam, au Tamil Nadu, sur la côte est de l’Inde. 
Savita Vijayakumar

Pour en savoir plus sur l’économie bleue, nous avons interviewé Savita Vijayakumar, une scientifique indienne qui est à l’initiative du programme Youth for the coast, soutenu par le CCFD-Terre Solidaire. Elle nous livre quelques clés de compréhension autour ce nouveau concept d’économie bleue.

Quand le concept d’économie bleue est-il apparu ?

Le concept d’économie bleue est apparu en 2012 lors de la Conférence des Nations Unies sur le développement durable (Rio+20). C’est aussi à ce moment là qu’est apparut le concept d’économie verte. L’océan a alors été présenté comme une “nouvelle frontière” à exploiter pour le développement économique, dans un contexte où les ressources naturelles (notamment minières) disponibles sur les continents ont déjà été exploitées et se font plus rares.

Qu’est-ce que l’économie bleue ?

Il n’existe pas de définition unique de l’économie bleue. Ce terme renvoie à l’idée d’évaluer la nature, ici les océans, en termes économiques. La nature devient comme un objet offrant différents services qui peuvent être commercialisés puis monétisés. Tant la nature que l’océan sont présentées comme des solutions aux crises socio-économiques et environnementales. Ils deviennent un « capital naturel » qui alimente respectivement une « économie verte » et une « économie bleue ». Ces politiques se traduisent en réalité par une forme d’accaparement des lieux et des ressources qui se retrouvent privatisés pour des projets de développement économiques.

Quels sont les secteurs concernés par l’économie bleue ?

Il y a les secteurs traditionnels comme la pêche, le transport maritime, la construction de ports, le tourisme. L’économie bleue leur propose de se développer économiquement grâce à la technologie, au capital financier et aux nouveaux marchés. Et puis il y a les nouveaux secteurs comme les énergies renouvelables, le pétrole et le gaz, l’exploitation minière en eaux profondes, la biotechnologie, la conservation de la biodiversité, les câbles sous-marins et la mariculture (l’élevage d’animaux marins).

Qui sont les acteurs de l’économie bleue?

Les acteurs de l’économie bleue peuvent être divisées en trois groupes.

  1. Le premier représente ceux qui ont beaucoup à gagner : les multinationales et leurs actionnaires, les entreprises du secteur privé qui s’associent aux gouvernements des États par le biais de partenariats public-privé, les banques de développement et aussi certaines ONG internationales de conservation de la nature (qui ne se préoccupent pas des communautés locales).

2. Le deuxième représente ceux qui ont beaucoup à perdre, les communautés côtières, en particulier les communautés de pêcheurs, et les habitants des littoraux socialement défavorisés.

3. Le troisième groupe se situe entre les gagnants et les perdants pour faciliter la mise en place de projets liés à l’économie bleue. Il s’agit des agences internationales : les agences d’État multilatérales (G8), du Forum économique mondial, des institutions financières internationales, mais aussi les agences des Nations unies.

Il faut remarquer que le pouvoir d’influence de ces différents acteurs est déséquilibré.

Quels sont les problèmes posés par le modèle de l’économie bleue ?

Le problème du modèle de l’économie bleue est qu’il a réussi à faire passer une menace pour une opportunité attractive, où tout le monde trouverait son compte. En affirmant se baser sur les principes du développement durable, l’économie bleue se présente comme gagnante pour l’économie, l’environnement et les personnes. Elle a réussi à infuser les débats et à faire passer l’idéologie néolibérale pour du bon sens.

La réalité est qu’il y a toujours un compromis à faire. Par exemple la construction d’un port augmentera nécessairement l’érosion, polluera les eaux, perturbera l’équilibre écologique. D’autres secteurs comme le tourisme et la pêche seront affectés. La concertation avec les populations locales est souvent sacrifiée.

Un exemple de problème posé par l’économie bleue en Afrique

Retour de pêche à Guet Ndar. Les mareyeuses choisissent le poisson. Saint-Louis du sénégal. Sénégal.

La Charte africaine sur la sécurité, la sûreté et le développement maritimes en Afrique (la Charte de Lomé, 2017) souhaite ouvrir « la pêche, l’exploitation minière, l’énergie, l’aquaculture et le transport maritime » dans le cadre de sa stratégie d’économie bleue, et la Charte ajoute que cela se fera « tout en protégeant la mer pour améliorer le bien-être social. »

Au Sénégal, cette vision de l’économie bleue masque les obstacles qui se dressent sur son chemin. Tout d’abord, 90 % de la pêche sénégalaise s’est effondrée en raison de l’octroi non réglementé de licences aux pêcheries chinoises et européennes.

Selon le Conseil de paix et de sécurité : « L’instabilité et l’insécurité persistantes en mer sapent la capacité des États à sécuriser les routes commerciales, à protéger et à exploiter les avantages de leurs économies bleues, et à assurer une croissance économique et un développement social inclusifs pour les communautés côtières ».

Un exemple de problème posé par l’économie bleue en Asie

En Inde, l’économie bleue s’est manifestée dans de multiples secteurs, le plus important étant un vaste projet de développement portuaire appelé Sagarmala, qui vise à installer un port tous les 20 kilomètres sur les 7200 kilomètres de côtes du pays. Ce projet a conduit à l’accaparement de terres, portant atteinte à la pêche à petite échelle et aux personnes dont la vie et les moyens de subsistance en dépendent.

À Honavar, dans l’État du Karnataka, au sud-ouest du pays, par exemple, une route de quatre kilomètres de long en construction sur une plage menant à un nouveau projet portuaire menace les moyens de subsistance de plus de 2 000 pêcheurs et endommage de façon permanente les lieux de nidification des tortues olivâtres. Malgré une réglementation stricte concernant ce type de construction, l’entreprise a réussi à tromper les autorités pour obtenir l’autorisation.

Qu’est-ce que le blue washing ?

Après le greenwashing, voici le blue washing! Le blue washing est une tactique utilisée par les multinationales, les petites entreprises et même les gouvernements et les agences de l’ONU pour faire croire que des projets, des produits et des politiques sont plus respectueux de l’environnement et socialement responsables qu’ils ne le sont réellement.

Pour ce faire, on utilise les bons mots, des cadres stricts et un faux marketing pour faire croire aux consommateurs et au grand public que ce qu’ils achètent ou le projet qu’ils pourraient soutenir ou financer indirectement en tant que contribuables aura un impact positif. En réalité, il s’agit d’un écran de fumée, d’une distraction qui empêche de voir les dégâts qu’il cause.

Aujourd’hui les océans sont aussi la cible de projets de compensation carbone, qui s’annoncent aussi inutiles et néfastes que les projets visant à planter des arbres.

« La compensation carbone sur les océans est le même phénomène que celui qui se joue pour les forêts. D’un côté, on détruit. Puis on dit qu’en replan­tant, on compense »

Jesu Rethinam, directrice de SNEHA, organisation d’appui aux pêcheurs artisans, partenaire du CCFD-Terre Solidaire, basée à Nagappattinam, au Tamil Nadu, sur la côte est de l’Inde. 

Qu’est-ce que l’accaparement des océans ?

L’accaparement des océans (ocean grabbing) désigne la dépossession ou l’appropriation de l’utilisation, du contrôle ou de l’accès à l’espace ou aux ressources océaniques par les utilisateurs antérieurs des ressources, les détenteurs de droits ou les habitants.

L’accaparement se produit par le biais de gouvernances dévoyées. Il peut se traduire par des actes de violence à l’égard des communautés impactées et des défenseurs de l’environnement. Il porte aussi atteinte aux moyens de subsistance des populations.

L’accaparement des océans peut être perpétré par des institutions publiques ou des intérêts privés. En Indonésie par exemple, les pêcheurs et les populations locales n’ont plus accès à la mer, car les littoraux sont privatisés au profit de grands projets économiques dont ils sont exclus.

Quelles sont les personnes les mieux placées pour défendre les océans ?

Les principaux gardiens de l’océan sont les communautés côtières dont les moyens de subsistance, la culture et l’identité sont liés à celui-ci. Cela signifie que les acteurs puissants doivent les reconnaître comme les principaux détenteurs de droits dont les intérêts ne peuvent être compromis par rapport à ceux des autres « parties prenantes ».

En outre, les gouvernements, les agences des Nations unies, les banques du secteur public et les ONG doivent agir dans l’intérêt public pour soutenir leurs droits par le biais de mécanismes de gouvernance équitables et de réglementations interdisant l’exploitation de l’océan à des fins privées et lucratives.

Le CCFD-Terre solidaire appuie les initiatives des organisations de pêches artisanales en Asie et en Afrique pour s’organiser et faire entendre leurs voix auprès des autorités locales et dans les instances internationales.
Exemples :
Conférence sur les océans : alerte sur la privatisation des mers.
Savita, défenseuse des océans et du littoral.
En Asie mobilisation contre l’économie bleue
Ecouter le podcast : AU Sri Lanka, défendre les pêcheurs face à l’accaparement des mers


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