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Marcel : des vacances engagées pour vivre autrement le bénévolat

août 28th, 2023 by

Marcel a participé aux éco-vacances du CCFD-Terre Solidaire au manoir de Fouchy en Alsace, du 8 au 13 juillet, avec au programme : la découverte de l’agroécologie paysanne et solidaire. Il nous raconte.

Portrait de Marcel, bénévole au CCFD-Terre Solidaire. © Marion Chastain

“On a tous à apprendre les uns des autres“

À 69 ans, Marcel Zimmermann a toujours le militantisme ouvrier dans les veines. Cet Alsacien du Nord, aîné d’une fratrie de trois enfants, a grandi dans une famille d’agriculteurs : “Nos cultures étaient essentiellement vivrières et un peu de rente. Cela a permis de payer nos études“, explique-t-il. Marcel Zimmermann ira à l’école publique, jusqu’à la sixième, “avant que le curé me propose d’entrer au petit séminaire à Weinbourg. Destination la prêtrise !“ plaisante-t-il tout en saluant l’éducation et l’ouverture à la culture dont il a pu ainsi bénéficier. Après le lycée, il intègre le grand séminaire pendant ses trois ans d’études supérieures en théologie à l’université de Strasbourg. Il y fera la rencontre de Bernard Holzer, ancien secrétaire général du CCFD-Terre Solidaire.

Résistance et solidarité

Si, à une époque, son rêve était d’être “prêtre agriculteur“, son stage obligatoire durant son cursus universitaire, “de préférence dans un secteur que l’on ne connaissait pas“, va rebattre les cartes. Il devient ouvrier spécialisé à l’usine General Motors à Strasbourg. “Je travaillais beaucoup, comme je le faisais à la maison“, explique Marcel, “et un contremaître en a profité pour augmenter la cadence de ma machine sans me prévenir. Tout comme celle de mes collègues. Je n’ai pas aimé qu’il me prenne pour un imbécile, se souvient-il. Cette expérience m’a ouvert l’esprit. J’y ai découvert l’exploitation ouvrière : toujours plus, toujours plus vite. Mais aussi la résistance et la solidarité“, ajoute Marcel, qui rejoindra alors la CFDT jusqu’au terme de sa carrière.

À la fin des années 1970, il obtient un CAP de tourneur et trouve du travail dans l’entreprise d’instrumentalisation scientifique Bruker. “J’y suis resté jusqu’à ma retraite en 2016. Il faut dire que la CFDT était déjà présente quand je suis arrivé.“ Celui qui voulait devenir “prêtre ouvrier“ poursuit en parallèle sa formation avec la mission de France. Entre-temps, il rencontre Marie-Rose, sa future femme et mère de ses trois enfants, au MRJC. “Ce n’était pas compatible avec la prêtrise. Alors j’ai bien réfléchi et j’ai décidé de continuer ma relation. Je ne pouvais pas faire une croix dessus“, ironise-t-il.

Depuis des années au CCFD-Terre Solidaire, on tente de faire changer notre regard sur le monde.

Marcel, bénévole.

Une retraite sous le signe du CCFD-Terre Solidaire

Le CCFD-Terre Solidaire accompagnera la vie de Marcel Zimmerman : de la vente de “pin’s en carton“ à la sortie de la messe quand il était enfant aux campagnes de carême annuelles. À la retraite, son engagement revêt une autre dimension. Il intègre l’équipe d’animation du CCFD-Terre Solidaire du Bas-Rhin avant d’en prendre la présidence jusqu’en 2017.

Depuis, il coordonne la région à tour de rôle avec l’ancienne présidente du Haut-Rhin. Il s’implique dans plusieurs thématiques du CCFD-Terre Solidaire : la souveraineté alimentaire, l’agroécologie ou encore les migrations, son sujet de plaidoyer actuel. “Depuis des années au CCFD-Terre Solidaire, on tente de faire changer notre regard sur le monde. Nos partenaires y travaillent sur leur territoire, c’est important de soutenir leurs actions. On a tous à apprendre les uns des autres“, confirme Marcel, également référent bénévole et membre du groupe de développement des ressources. Quoi qu’il en dise, ce “militant travailleur“ comme il préfère se définir, ne semble pas vouloir lever le pied de sitôt.

Marion Chastain

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Bénédicte : témoignage d’une vacancière engagée

août 28th, 2023 by

Bénédicte a participé aux éco-vacances du CCFD-Terre Solidaire au manoir de Fouchy en Alsace, du 8 au 13 juillet, avec au programme : la découverte de l’agroécologie paysanne et solidaire. Elle nous raconte.

Portrait de Bénédicte, bénévole au CCFD-Terre Solidaire. © Marion Chastain

“La faim demeure pour moi un scandale“

Elle a beau avoir une vie bien remplie, Bénédicte Zanuttini, 51 ans, consacre du temps à son engagement bénévole au CCFD-Terre Solidaire. Originaire d’Alsace, cette infirmière était la quatrième d’une fratrie de cinq, “ce qui explique que j’ai toujours aimé la vie en communauté“. Elle-même a eu quatre enfants, “qui ont aujourd’hui entre dix et vingt ans“, raconte-t-elle pendant sa quatrième participation aux éco-vacances du CCFD-Terre Solidaire. Cette année, c’était à Fouchy, dans le Bas-Rhin.

Bénédicte Zanuttini fait ses premiers pas dans le monde associatif à l’âge de seize ans, avec sa communauté paroissiale de Thann. “Je suis devenue responsable d’un groupe de jeunes au sein du mouvement de l’Action catholique des enfants (ACE). J’y ai rencontré des personnes très engagées, accessibles. Cela m’a aussi permis de répondre à une certaine quête de sens“. Sa première rencontre avec le CCFD-Terre Solidaire date de cette période, avec notamment les courses “Terre d’Avenir“ organisées par l’ONG, auxquelles participaient les enfants de l’ACE. “J’ai tout de suite apprécié la vision de l’association, son ouverture.

Le CCFD-Terre Solidaire, c’est aussi de belles rencontres avec de belles personnes, c’est très enrichissant, cela nous fait grandir.

Bénédicte, bénévole.

Avant de s’y engager, Bénédicte poursuit d’abord ses études : trois ans en théologie à l’université de Strasbourg. Elle devient professeure de religion en primaire et au collège, enseignement autorisé sous le concordat alsacien, pendant un an. Mais ce n’était pas sa voie ni “ma vision de l’Église“, dit-elle. Celle du CCFD-Terre Solidaire le sera beaucoup plus, “une Église ouverte, le rôle des femmes, l’accueil de l’autre quel qu’il soit“. Bénédicte reprend alors des études d’infirmière. Un métier qu’elle exerce encore aujourd’hui. “J’ai travaillé à l’hôpital, mais surtout en Ehpad. J’ai une prédilection pour les personnes âgées“, souligne-t-elle. Avant de s’installer en libéral en 2019 : “Je voulais pouvoir prendre autant de temps que je le souhaite avec mes patients ?

Faire changer les mentalités

C’est une fois définitivement installée avec sa famille dans la vallée de Masevaux, dans le Haut-Rhin, que Bénédicte Zanuttini devient bénévole active du CCFD-Terre Solidaire, pour plusieurs raisons : “ Il y a bien sûr la question de la faim qui demeure pour moi un scandale. D’autant plus depuis que je suis maman. Avoir un enfant et ne pas pouvoir lui donner à manger, c’est horrible“, insiste-t-elle avant de citer l’ex-rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation, Jean Ziegler : “Un enfant qui meurt de faim est un enfant assassiné.“

L’écologie, la justice sociale, le changement climatique, les migrations sont autant de sujets portés par le CCFD-Terre Solidaire qui lui tiennent aussi à cœur et qu’elle espère voir ruisseler pour faire changer les mentalités. Sans oublier le partenariat : “Ce que j’aime, c’est que ce n’est pas de la distribution. Et les projets soutenus, ceux des associations locales qui s’engagent sur leur territoire, se font sur la durée. Cette vision à long terme, c’est ce qui nous manque de nos jours.“ Bénédicte espère aujourd’hui voir son équipe locale s’agrandir : “Le CCFD-Terre Solidaire, c’est aussi de belles rencontres avec de belles personnes, c’est très enrichissant, cela nous fait grandir“, lance finalement la bénévole d’Alsace.

Marion Chastain

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Colombie : avec Cristina Ríos Rodas, directrice de Vamos Mujer

août 5th, 2023 by

Fondée en 1979, et soutenue par le CCFD-Terre Solidaire depuis 2000, Vamos Mujer est une organisation féministe qui défend l’autonomie et le développement intégral des femmes en Colombie. Basée à Medellin, capitale du département d’Antioquia et deuxième ville de Colombie, elle compte aujourd’hui quatorze salariées. Sa mission s’articule autour de trois axes principaux : améliorer les conditions de vie matérielle des femmes ; lutter contre les violences à leur encontre ; renforcer leur participation politique et citoyenne. Vamos Mujer promeut le droit à une vie digne et libre. À travers ses actions, l’organisation promeut les valeurs de respect, de solidarité, d’équité et de justice comme fondements essentiels des relations entre les personnes et avec la nature.

Pour commencer, pourriez-vous revenir sur votre parcours au sein de Vamos Mujer ?

Dans le cadre de mes études d’assistante sociale à l’Université d’Antioquia, j’ai effectué un stage à Vamos Mujer. Ce stage m’a donné l’opportunité de travailler avec l’organisation des femmes rurales de Palmas Unidas, à La Ceja [ville au Sud-Est de Medellin, à 1h30 de route environ] sur des questions d’accès aux droits fondamentaux, avec notamment des actions visant à développer des pratiques agroécologiques et solidaires. J’ai eu un coup de cœur ! Suite à ce stage, j’ai rejoint l’équipe salariée. J’ai occupé de nombreux postes, travaillant au renforcement des organisations de femmes, sur la problématique de leur autonomie économique (« La autonomia económica de las mujeres »1), etc. J’ai aussi coordonné l’Institut Féministe, institut de formation et de renforcement de capacités fondé par Vamos Mujer. Après avoir quitté l’organisation comme salariée, notamment afin de suivre davantage la scolarité de mon fils, j’ai été élue présidente de l’Association en 2020. Récemment, suite à un vote de confiance du Conseil d’administration, j’ai été sollicitée pour me présenter au poste de directrice de l’association, fonction que j’occupe depuis le printemps 2023. Vamos Mujer a une vitalité extraordinaire. Tout au long de mon parcours, j’ai constamment évolué. J’ai appris, corps et âme (« por mi cuerpo y por mi vida »), et me suis transformée. Je m’étais dit que le jour où j’arrêterais d’apprendre et de me transformer, je quitterais Vamos Mujer… Et je suis toujours là !

Comment envisagez-vous les années à venir pour Vamos Mujer ?

Je crois beaucoup en Vamos Mujer. Il faut maintenir notre vision transformatrice, afin de transformer le patriarcat. C’est par ailleurs une organisation réflexive. Nous devons conserver cette réflexivité, sans trop nous regarder le nombril pour autant. Il nous faut surtout affermir collectivement le projet politique de l’association, ce qui nous permettra notamment de renforcer notre influence institutionnelle ainsi que nos alliances avec les mouvements et associations féministes.

Nous voulons aller au cœur de chacun des sujets traités, en restant attentives aux évolutions ainsi qu’aux spécificités de chaque groupe de femmes : les problématiques en zone rurale éloignée ne sont pas exactement les mêmes que celles des quartiers pauvres de Medellin par exemple. Il nous faut les incarner, en lien avec le vécu et l’expérience des femmes que nous rencontrons.

J’ai aussi à cœur de garder la mémoire vivante de Vamos Mujer. C’est-à-dire une mémoire fidèle à notre histoire, mais sans nostalgie ni passéisme. Une mémoire conservant l’essentiel – ce à quoi nous tenons profondément – , au service de la créativité, du dynamisme et de l’innovation de notre association. Agée de 39 ans, engagée au sein de Vamos Mujer depuis une quinzaine d’années, je fais le pont entre la génération des fondatrices et la nouvelle génération. Cette mémoire organisationnelle est d’autant plus importante que Vamos Mujer a joué un rôle historique, aux côtés de la Corporación para la Vida Mujeres que Crean et de l’Unión de Ciudadanas de Colombia (UCC), dans le développement du féminisme en Colombie.

Réaliser collectivement une action pour le Bien commun, qu’il s’agisse d’améliorer l’accès à l’eau ou aux soins, de restaurer une parcelle détruite par un glissement de terrain ou encore de monter une épicerie associative, c’est de la participation politique.

Qu’est-ce qui vous plaît le plus aujourd’hui dans votre métier ?

Le lien et le contact direct avec les femmes et les territoires, ainsi que la créativité pédagogique. L’essence de Vamos Mujer réside dans la construction collective de propositions, d’actions et d’outils de formation et de conscientisation. Tout ceci, avec et pour les femmes du département d’Antioquia, à partir de leurs expériences, de leurs savoirs et de leurs idées, de leurs émotions. Il serait difficile d’être créatives sans écouter et entendre ces voix multiples. J’ai à cœur de maintenir ces liens directs, malgré les rôles et responsabilités liés à la fonction de direction. C’est difficile, mais pas impossible ; il faut être méthodique et organisée.

Quelles dynamiques de mobilisation citoyenne impulsent Vamos Mujer ?

Il y a une prémisse à toute forme de mobilisation que nous initions : le personnel, l’intime est politique. Il s’agit de politiser la vie quotidienne et de dénaturaliser les situations vécues par les femmes ainsi que les violences qu’elles subissent, quelles qu’elles soient.

La politique ne se réduit pas à la politique étatique, électorale ou politicienne. Cet aspect est fondamental, mais il faut aller au-delà. Ainsi, réaliser collectivement une action pour le Bien commun, qu’il s’agisse d’améliorer l’accès à l’eau ou aux soins, de restaurer une parcelle détruite par un glissement de terrain ou encore de monter une épicerie associative, c’est de la participation politique. Les femmes des hameaux de San Francisco, Santa Gertrudis ou El Rayo [localités rurales (« veredas ») au Nord-Est d’Antioquia, près de Santo Domingo], lorsqu’elles développent un projet d’agroforesterie (« bosque comestible ») font quelque chose de politique. Leur projet est basé sur un système d’entraides, d’échanges et d’apprentissages mutuels ; il possède différentes dimensions : souveraineté alimentaire, génération de revenus propres, écologie… En effet, les droits des femmes ne se réduisent pas aux droits sexuels et reproductifs, ni au droit à une vie libre de violence : il y a aussi des enjeux d’accès à l’eau et aux terres, de vivre dans un environnement sain.

Nous œuvrons, avec d’autres, à une citoyenneté pleine et entière des femmes dans une société que nous voulons démocratique et inclusive.

En tant que mouvement social, Vamos Mujer développe des campagnes d’information et de sensibilisation. Par exemple, en 2006, nous avions mené une campagne sur les violences contre les femmes, liées pour partie au conflit armé, en montrant que le corps et la peau des femmes peuvent être considérés comme le lieu premier de cette mémoire : « El lugar de la memoria »2. Nous organisons des marches, des sit-in, des ateliers participatifs, des fêtes de l’entreprenariat, élaborons des rapports et menons des recherches, montons des expositions, participons à des programmes de radio ou de télévision locales, à des podcasts. Nous profitons, entre autres, de chaque date symbolique pour créer des événements : Journée internationale des droits des femmes (8 mars) ; Journée internationale de l’environnement (5 juin) ; Journée internationale des femmes rurales (15 octobre) ; Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes (25 novembre).

Nous veillons à l’ancrage territorial des actions proposées. Nous nous posons constamment la question de l’accès des femmes aux actions proposées (lié souvent au manque de moyens et de disponibilité), de la justesse de nos messages (comment nommer l’innommable des violences, des viols, des meurtres ?), des supports et des formes les plus appropriés (photographies, dessins, peintures, chansons, théâtre, performances de rues, etc.). Il s’agit de faire entendre la parole propre des femmes, de donner à voir leur situation, de faire comprendre – une compréhension qui passe ou passera nécessairement par le corps et le vécu (« por el cuerpo y por la vida ») de chacune et de chacun. Pour atteindre les communautés rurales, nous passons par des formes plus expressives et visuelles, et pas uniquement par le discours. Quoiqu’il en soit, l’objectif reste le même : que toute femme, quelle que soit sa condition, gagne en pouvoir d’agir ; que toute femme soit pleinement reconnue comme sujet de droit et sujet politique. Ainsi nous œuvrons, avec d’autres, à une citoyenneté pleine et entière des femmes (« ciudadanía plena de las mujeres ») dans une société que nous voulons démocratique et inclusive.

Pouvez-vous nous donner un exemple particulièrement inspirant ?

Je pense au réseau des Ali-Hadas [jeu de mots en espagnol entre « aliadas », alliées, et « hadas », fées], un réseau de femmes leaders qui maille toute le département région d’Antioquia. Il s’est constitué suite à la loi 1257 de 2008, relative à la violence contre les femmes. Tout un travail citoyen s’est engagé afin que cette loi soit connue et appliquée. Un réseau de femmes s’est constitué progressivement, appuyé par des formations diplômantes dispensées par l’Institut féministe – le diplôme a une très forte valeur de légitimation et d’auto-légitimation – ainsi que des échanges de pratiques et de partage d’expériences. Ces femmes ont déployé leurs efforts dans deux directions, évidemment liées. Vers les citoyennes et les citoyens, afin qu’ils prennent conscience et se saisissent de leurs droits ; vers les pouvoirs publics, afin qu’ils appliquent cette loi – que certains fonctionnaires ne connaissent toujours pas !

Vamos Mujer est attentive aux mobilisations locales, au niveau des territoires ruraux du département d’Antioquia, afin que les mobilisations organisées ne se déroulent pas seulement à Medellin. Cette dynamique se poursuit ; de nouvelles actions voient le jour. Des étudiantes font bouger les lignes dans les territoires dont elles sont originaires : les MIJAS, un groupe informel de jeunes femmes, ont rencontré un certain succès en se lançant courageusement, sans expérience préalable, dans la pratique du scratche en ligne3, pratique légalement reconnue en Colombie. Elles ont d’ailleurs exposé leur action lors d’une rencontre des Ali-Hadas en juin, organisé par Vamos Mujer à Medellin. Nous nous demandons aujourd’hui comment politiser davantage encore cette pratique du scratche, notamment en lien avec la période électorale qui va s’ouvrir à l’automne au niveau local.

Nous essayons de faire comprendre à la population que le féminisme est un processus dont tout le monde bénéficie.

Ceci dit, les réseaux sociaux ne sont pas à même d’atteindre les populations adultes rurales. Non seulement parce qu’ils ne les utilisent pas, bien que tout le monde ou presque ait un smartphone aujourd’hui, mais aussi parce que la connectivité de nombreux territoires ruraux est pratiquement nulle. Nous passons donc beaucoup par les radios communautaires Le programme hebdomadaire de Radio Santa Barbara, « Entre voisines », en constitue une bonne illustration. Monté par les Ali-Hadas de Santa Barbara [municipalité au Sud de Medellin, à 2h de route environ], l’idée est de proposer des thèmes de réflexion féministes dans le langage antioquien du quotidien. Par exemple, une femme se plaint à sa voisine de ne pas réussir à bien s’occuper de sa mère malade en même temps qu’elle assume les différentes tâches ménagères, le soin des enfants, etc. Et sa voisine de répliquer : « Pourquoi serait-ce exclusivement à toi de t’en occuper, et pas ton mari, ou tes frères ? Ne pourriez-vous pas alterner ? » Et ainsi de suite.

Il faut se demander à chaque fois : qui veut-on toucher ? Puis choisir les meilleures formes de communication, en essayant bien sûr de les combiner… A noter que les Ali-Hadas font également du porte-à-porte pour renforcer leur travail de sensibilisation.

Progressivement, en se formant, en favorisant l’échange d’expériences entre elles, en agissant au niveau de leurs territoires, les Ali-Hadas ont réussi à passer d’un processus de résistance à un processus proactif, où elles cherchent aussi à améliorer les situations économiques et à prévenir les violences. Ces femmes leaders, rurales pour beaucoup, paysannes, autochtones, sont aujourd’hui reconnues localement. Elles sont contactées par d’autres femmes. Elles s’expriment publiquement, alors qu’elles n’osaient pas prendre la parole par le passé. Pour autant, il faut donner de la continuité à ce réseau de mobilisation citoyenne, affiner son propos et sa stratégie politiques, veiller à ce que les formations ouvrent sur des actions concrètes… Ce travail est permanent. Il faut persister, mettre et remettre sur le métier le vaste sujet d’une vie libre de violences et digne pour les femmes.

Quelles évolutions constatez-vous au niveau de la situation des femmes dans le département d’Antioquia ?

Ces évolutions sont paradoxales. D’un côté, après de dures années de lutte, le sujet de la condition des femmes et des violences qu’elles subissent est sur la table. Il y a moins de silence autour de ces situations, moins de peur de dire les choses comme elles sont. Aujourd’hui, même des lycéennes osent parler des violences dont elles sont victimes. L’opinion publique est globalement sensibilisée à ce sujet. Il y a aussi des avancées au niveau institutionnel, au niveau normatif et législatif national, attentivement suivies par Vamos Mujer4, mais aussi au niveau municipal.

A Sonsón [municipalité au Sud-Est de Medellin, à 2h30 de route environ], il existe ainsi depuis 2013 une instance au niveau local (« Mesa de mujeres ») réunissant les pouvoirs publics, les associations locales de femmes, la police et des hospitaliers et des universitaires. Cette instance, qui relève de la responsabilité des autorités publiques, permet d’évoquer spécifiquement les sujets liés aux situations des femmes et d’améliorer la connaissance de ces situations ainsi que des solutions pour y faire face.

D’un autre côté, notamment du fait de l’extrême droite, un endoctrinement, visant les jeunes en particulier, est en cours. Malheureusement, si nous menons un travail de fond pour transformer les mentalités, l’extrême droite le fait aussi… Quant au niveau législatif, les avancées peuvent être suivies de backlash5… Nous avons parfois l’impression que nous avançons de deux pas et reculons de cinq. Devant les violences qui perdurent et tout ce qui les rend possible structurellement (culture patriarcale, impunité, déni de droits, pauvreté, inégalités, etc.), nous sommes parfois prises de désespoir, éprouvons de vives frustrations. Mais, si nos droits fondamentaux sont toujours menacés, il faut aussi reconnaitre chaque pas accompli et mesurer le chemin parcouru.

Comment situer Vamos Mujer parmi les mouvements féministes contemporains colombiens ?

Vamos Mujer n’a pas de définition figée du féminisme. L’association en a une définition ouverte, syncrétique, qui emprunte à différents courants, par exemple à l’écoféminisme (à noter que la définition de l’écoféminisme est elle-même plurielle). Parmi tant d’autres, trois aspects sont sans doute à souligner. D’abord, nous sommes plus attachées aux pratiques qui permettent aux femmes de vivre libres et dignes qu’à la sémantique. Beaucoup de femmes travaillant avec Vamos Mujer ne se disent pas « féministes » – un terme encore clivant et repoussoir en Colombie – , mais leurs pratiques le sont bel et bien. Ce sont ces pratiques que nous accompagnons et auxquelles nous formons.

Ensuite, nous essayons de faire comprendre à la population que le féminisme est un processus dont tout le monde bénéficie. En ce sens, il n’est pas l’opposé du machisme, mais le changement d’un système patriarcal qui oppresse, violente et tue les femmes, qui gèle les rôles et les catégories « homme » et « femme ». Enfin, le féminisme tel que l’entend Vamos Mujer implique des changements à toutes les échelles, de l’intime aux structures du pouvoir. C’est une démarche proactive, indissociablement individuelle, car on ne change pas le monde sans se changer soi-même, et collective, car seule il est pratiquement impossible de s’en sortir et de changer un état de fait.

Vamos Mujer est critiquée par certains mouvements féministes colombiens, qui se revendiquent autonomes et autonomistes, comme étant « institutionnalisée », au sens péjoratif du terme. Pourtant, nous avons toujours été attachées à notre indépendance. Nous savons également nous remettre en cause. Par exemple, nous avions plaidé, dans tout le territoire antioquien, auprès des candidat.e.s aux précédentes élections départementales et municipales pour qu’ils incluent la lutte contre les violences faites aux femmes dans leur programme. Nous n’en avons cependant jamais vu les résultats ! Les promesses électorales n’ont été pas tenues. Ou, si le mot « femmes » fut inscrit dans les agendas politiques et dans certains outils (comme les Plans de développement locaux), les moyens n’ont pas suivi. Cette approche n’a permis d’obtenir qu’extrêmement peu de transformations réelles quant à la situation des femmes d’Antioquia. Nous apprenons de ces échecs et cherchons d’autres voies pour peser politiquement. Nous restons convaincues que le plaidoyer reste indispensable pour obtenir des changements structurels.

Actuellement, le mouvement féministe est relativement divers et divisé, entre différents courants, différentes sensibilités, différentes approches. Mais c’est aussi la preuve de sa vivacité. Ces différences et divergences sont la vie même des mouvements sociaux. Il ne faut pas les homogénéiser, mais plutôt chercher à les unir.

Entretien et traduction de l’espagnol (Colombie) réalisés le 26 juin 2023 à Santo Domingo (Antioquia) par Jean Vettraino pour le CCFD-Terre Solidaire. Crédits photos : image de Une Anne Boisse, sinon Jean Vettraino

1- Pour les lecteurs et lectrices en espagnol, il est possible de consulter l’Agenda territorial y ciudadana de las mujeres de Antioquia 2022-2026 (2022, accessible en ligne), où les cinq notions clés du travail de Vamos Mujer – dont l’autonomie économique – sont présentées de manières synthétiques et pédagogiques.

3- Le scratche (el escrache en espagnol) est une forme d’action directe qui dénonce sur la place publique et/ou dans l’espace numérique les coupables de crimes et/ou d’actes violents envers les femmes, en diffusant leur nom et leur portrait. Pour aller plus loin, cf. Marylène Lapalus, « Le scratche, une stratégie de résistance à la violence masculine. Réplique militante contre le féminicide à Mexico », Nouvelles Questions Féministes, 2017, vol. 36 (accessible en ligne).

4- Pour les lecteurs et lectrices en espagnol, cf. « Avances normativos de los últimos 20 años en relación con los derechos humanos de las mujeres », dans le vingtième Rapport sur la situation de violation des droits humains des femmes à Medellin et dans les territoires d’Antioquia (2022, accessible en ligne).

5- « En anglais, le terme sert à exprimer une conséquence négative ou une réaction hostile – en français, il est d’ailleurs traduit par les non moins imagés « contrecoup », « retour de bâton », ou encore « ressac ». Pourquoi alors utiliser sa version anglophone, quand tant de traductions sont disponibles ? Parce que, depuis une trentaine d’années, backlash désigne plus spécifiquement une réaction violente d’une partie de la société face au progrès des droits des minorités [ou des droits des femmes] ». Cf. Marion Dupont, « Le « backlash » ou le retour de bâton conservateur », lemonde.fr, 21 septembre 2022.

A Madagascar, toute la vigilance d’une femme pour son île

août 1st, 2023 by

Après un parcours chez les bailleurs de fonds internationaux, Volahery Andriamanantenasoa utilise toutes ses compétences au service de son pays. Elle cherche le meilleur moyen de protéger Madagascar des  intérêts économiques qui veulent exploiter les ressources de l’ile au détriment de sa population et de son environnement.

Cette Malgache de 48 ans est une chance pour son pays. Volahery Andriamanantenasoa connaît de l’intérieur le fonctionnement des bailleurs de fonds. Elle a décidé de mettre cette expertise au service de sa grande île. Aujourd’hui, elle dirige les programmes du CRAAD-OI, le centre de recherches et d’appui pour les alternatives de développement dans l’océan Indien, soutenu par le CCFD-Terre Solidaire.
Cette Association malgache qui compte sept salariés et 6 000 adhérentes et adhérents, du monde agricole ou ouvrier – défend l’exploitation incontrôlée des terres et des eaux malgaches par les intérêts étrangers.

« Nous ne voulons pas être sacrifiés »

 « Récemment on a réussi à faire reculer les Chinois qui voulaient développer un projet de terres rares (minerais très utilisés par les nouvelles technologies et pour la transition énergétique à l’instar des voitures électriques) dans la région nord » .

CRAAD-OI réclame également la justice climatique : « Nous ne pouvons ni ne voulons être sacrifiés. L’eau se raréfie dans toutes nos régions, car la pluviométrie diminue, ce qui augmente la crise alimentaire. »

Face à ces injustices, Volahery estime que l’on « est obligé de faire de la politique. » Mais, cela comporte des risques. Volahery explique : « On m’a menacée indirectement. Jamais frontalement, peut-être parce que je passe régulièrement à la télévision ou parce que tout le monde sait que je faisais partie des Nations Unies ».

D’une banque allemande au Haut- Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme

Volahery a commencé en 2010 par exercer la micro finance dans une banque allemande de Madagascar. « Un jour, j’ai eu honte de mon confort en voyant deux Malgaches tirer une charrette à la place des zébus qu’ils ne pouvaient se payer. » 

Elle intègre le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme, tout en suivant des études de droit et de Science Politique. Elle se forme à Pretoria, à Genève, à la Duke University aux Etats-Unis. « On m’a proposée de rester aux Etats-Unis, mais c’est Madagascar qui a besoin de moi ! »

« J’ai gagné en liberté, mais perdu en sécurité »

Pendant sept ans, elle « renforce les capacités des défenseurs des droits humains à Madagascar » en leur donnant des formations. Mais, elle doit garder, en tant que fonctionnaire des Nations Unies, une réserve toute diplomatique qui la frustre.  « Aujourd’hui, au CRAAD-OI, je peux aller sur le terrain, dire les choses honnêtement, mobiliser, interpeler directement les autorités, avoir un compte Facebook (Volahery Valih) où je partage ce que je vois et pense. Bref, j’ai gagné en liberté, mais, j’ai perdu en sécurité, par rapport à mon statut onusien » analyse-t-elle.

Sans regrets, Volahery arpente son île pour expliquer que l’on est en train de brader son pays, que le pouvoir des politiques n’est pas nécessairement utilisé pour le développement véritable de Madagascar. « Il faut que l’on entende nos voix pour que ça bouge !  Sinon, rien ne changera ! ».

Les prédateurs sont nombreux

Les prédateurs qui s’intéressent aux richesses de son île sont nombreux. Des Australiens veulent extraire des terres rares, comme ils veulent aussi le faire en eau profonde dans les iles Fidji  malgré les impacts désastreux de telles opérations sur les écosystèmes; des projets hôteliers menés par des étrangers, vers Nosy Bé, au nord de l’île, sont dans les cartons ; les investisseurs chinois accaparent des territoires marins pour la culture des coquillages, au détriment des pêcheurs locaux.  « Nous luttons contre le modèle de développement extractiviste. Cela passe par un soutien à la résistance des communautés. Et une vigilance autour des aménagements du code minier ». Volahery est de tous ces combats. Et en premier lieu, celui de la corruption endémique, « une pratique ancrée dans le système malgache. » Elle la dénoncera toujours, même si sa sécurité personnelle est en jeu.

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Noël : 5 écrivaines africaines à faire découvrir

juillet 31st, 2023 by

Elles nous enchantent par leur vivacité et leur plume acérée. Elles sont particulièrement agréables à lire et leurs histoires captivantes. Voici les livres de cinq écrivaines africaines ou de la diaspora que nous avons envie de partager avec vous

Fatou Diome,  « Le ventre de l’Atlantique », « Celles qui attendent »

Même longtemps après l’avoir lu, vous vous souviendrez toujours des deux héros du ventre de l’Atlantique. Sallie vit à Strasbourg où elle peine à joindre les deux bouts. Pour payer ses études, elle fait des ménages et se confronte à la dureté de cette vie que partagent avec elle des milliers de travailleurs précaires. Horaires intenables, fatigue physique et racisme ordinaire sans parler de la grisaille hivernale.
Alors quand son frère, fan de foot, l’appelle du Sénégal pour lui parler de son projet radieux de venir en France pour devenir joueur de foot professionnel, Sallie s’agace.
Elle qui connait tout des dangers et des désillusions du parcours migratoire tente de l’en dissuader. Mais les rêves de Madické sont tenaces…
Dans ce roman très autobiographique, la plume vivante et dynamique de Fatou Diome tient le lecteur en haleine d’un bout à l’autre.

Isabelle Manimben, responsable du service Afrique au CCFD-Terre Solidaire, nous recommande aussi particulièrement un autre de ses livres « Celles qui attendent », qui donne un éclairage sur la façon dont sont vécues les migrations pour les femmes qui restent au pays.

Chimamanda Ngozie Adichie, « Americanah » « L’autre moitié du soleil »

Assurément un coup de cœur pour cette autrice d’origine nigériane qui est aussi un vrai phénomène littéraire international.

Dans Americanah, une jeune femme nigériane, nommée Ifemelu, raconte son adolescence heureuse et son premier amour au Nigéria puis son départ pour les Etats Unis.
Sous la plume de Chimamanda, vous devenez cette jeune femme qui prend conscience que la couleur de sa peau n’est jamais anodine dans son pays d’atterrissage.
Mésaventures burlesques, solitude et persévérance, Ifemelu ne se laisse pas démonter et devient une blogueuse renommée.

Dans « l’Autre moitié du Soleil », Chimamanda Ngozie Adichi immerge ses lecteurs dans le milieu universitaire du Nigéria des années soixante. Les soirées sont douces, la musique entrainante, et tous les espoirs de développement sont permis. Mais bientôt la guerre du Biafra sonne la fin de l’insouciance pour deux sœurs que tout semblait opposer jusque-là.

Attention les personnages de Chimamanda Ngozie Adichie deviennent vite vos amies. Au point d’être triste quand il faut tourner la dernière page et leur dire adieu.

Si elle se définit avant tout comme une conteuse d’histoire, Chimamanda est aussi devenue une figure contemporaine du féminisme.

Mariama Ba, « Une si longue lettre »

Mariama Ba est un peu la cheffe de file des autrices africaines. « Une si longue lettre » est un livre fondateur écrit dans les années soixante-dix. Dans ce roman, une femme, Ramatoulaye, écrit une longue lettre à sa meilleure amie. Elle lui rappelle sa jeunesse heureuse et pleine d’espoir, son travail, son mariage d’amour, ses enfants. Et puis l’effondrement intime quand son mari choisit de prendre une deuxième épouse.

L’autrice disparue prématurément dans les années 80 posait les bases de ce qu’on apprécie particulièrement chez les écrivaines dont nous parlons ici : la justesse des descriptions des relations humaines, en particulier hommes-femmes,  le sens de la narration, et la vivacité de l’écriture.

Djaïli Amadou Amal, « Les impatientes », « Cœur de Sahel »

Djaïli Amadou Amal, née en 1975, a grandi au Nord Cameroun et subi un mariage forcé à 17 ans. Nulle mieux qu’elle ne peut décrire le destin des femmes dans cette société extrêmement patriarcale.
« Soit patiente », c’est ce qu’on martèle aux petites filles dès leur plus tendre enfance pour les préparer à accepter le mariage que leurs parents choisissent pour elles à l’adolescence. Dans « Les impatientes », Ramla, Safira et Hindou tentent avec d’énormes difficultés d’infléchir le cours de leur vie. Mais la tradition est tenace…

« Les impatientes » a obtenu le prix Goncourt des lycéens et a été l’un des grands succès de librairie de 2020.

Dans “Cœur de Sahel” son dernier livre sorti cette année, c’est dans la vie mouvementée des bonnes de cette même région du nord Cameroun que nous invite Djaïli Amadou Amal. Cette fois, on se prend d’affection pour Faydé, Bintou et Srafata qui doivent quitter leur village après une attaque de Boko Haram pour aller chercher un salaire en ville comme servante. Parviendront-elles à s’en sortir, ou seront-elles broyées par la dureté des rapports de domination qui régissent les relations humaines dans cette région? Voici un livre qui vous tiendra en haleine jusqu’au bout.

Leonora Miano, “Rouge impératrice”

C’est à un malicieux roman futuriste que nous invite Leonora Miano. Nous sommes une centaine d’années plus tard à Katopia, un continent africain presque unifié. Les Fulasis, issus de la vieille Europe, y sont venus trouvés refuge après avoir quitté leur pays qu’ils estimaient envahis par les migrants. Le chef de l’Etat voudrait expulser ces populations inassimilables, mais l’amour d’une femme le fait hésiter.

Attention l’écriture de ce livre est plus difficile à suivre. A réserver donc à ceux qui s’intéressent aux défis culturels, écologiques, féministes et humains posés par le livre.

En espérant que vous aurez autant de plaisir à découvrir ces autrices que nous en avons eu…

Immersion en République Centrafricaine, à la recherche de la paix #GrandFormat

juillet 21st, 2023 by

Comment ouvrir le dialogue dans un pays comme la République Centrafricaine fracturé par la guerre civile ? Comment convaincre les différentes communautés d’enterrer la hache de guerre, de travailler ensemble pour rétablir la paix ?

Pour répondre à ces questions, nous nous sommes rendus en République Centrafricaine avec une journaliste de la radio RCF. Ce pays, meurtri par les coups d’état et les conflits armés, compte de nombreuses confessions, ethnies et plus de 70 dialectes différents.

Sur place, nous avons été accueillis par des bénévoles de la PIJCA, une association soutenue par le CCFD-Terre Solidaire, qui œuvre pour la paix et le dialogue interconfessionnel. Suivez-nous à la rencontre de ces différentes communautés et découvrez, à travers ce récit, leur travail commun en faveur de la réconciliation.

Une famille qui vend du manioc dans le village de Ndanga, en République centrafricaine ©CCFD-Terre Solidaire

Notre voyage débute dans le sud de la République centrafricaine sous une chaleur écrasante, en route vers la ville de Boda, à l’ouest de la capitale.

Moins de 200 kilomètres séparent les deux villes, il nous faudra pourtant 7 heures pour les parcourir en voiture.

La route, principalement de la piste, rend la conduite difficile même pendant la saison sèche.

Tout au long du trajet, les forêts défilent devant nos yeux, révélant la grande richesse naturelle de ce pays. Les ressources ne manquent pas : or, diamants, uranium et du bois, en grande quantité.

Judicaël et Carmelle, des bénévoles de la PIJCA, la Plateforme Interconfessionnelle de la Jeunesse Centrafricaine, nous racontent qu’à certaines périodes de l’année le sol est recouvert de chenilles, que les arbres regorgent de fruits et que le pays abrite un grand nombre de bétail. Un paradoxe dans ce pays où, selon la FAO, 81,3% de la population vit en insécurité alimentaire.

Sur la route, nous croisons d’énormes camions transportant du bois, des troncs entiers. Nous comprenons rapidement qu’ils appartiennent à la milice russe Wagner, très présente dans le pays.

Nous traversons de nombreux villages. A plusieurs reprises, nous devons descendre sur le bord de la route, montrer nos papiers d’identité et expliquer ce que nous faisons ici. Ces barrages sont tenus par la gendarmerie, mais non loin de là, beaucoup d’autres sont entre les mains de groupes armés. Il n’y a pas de doute : l’insécurité persiste bel et bien dans le pays.

Judicaël nous raconte la guerre civile qui a déchiré ce pays pendant de nombreuses années. En 2013, un groupe armé à majorité musulmane, connu sous le nom de Seleka, a pris le pouvoir par la violence et le sang, plongeant le pays dans le chaos. En réaction, des milices d’auto-défense majoritairement chrétiennes se sont formées, les anti-balakas, déclenchant ainsi une guerre civile qui a causé de lourdes pertes des deux côtés. Les civils ont été, comme toujours, les premières victimes et ont subi de nombreuses exactions.

Judicaël précise : « A l’origine, ce n’était pas un conflit communautaire ! Les chrétiens et musulmans vivaient en paix. Les raisons qui ont déclenchées cette guerre étaient purement économiques. Les gens se sentaient abandonnés par l’État et souffraient de la faim. Mais la guerre a été instrumentalisée par les politiques. Les manipulations et les horreurs commises pendant la guerre ont causé une profonde déchirure, une fracture entre ces communautés. Aujourd’hui, on se bat pour rouvrir le dialogue et retrouver la paix, comme avant. »

Boda, le “laboratoire de la réconciliation”

Nous arrivons dans le centre-ville de Boda. En passant devant le marché, nous sentons des odeurs de café, d’épices ou encore de poisson fumé. Nous pouvons entendre la musique diffusée dans les boutiques, et les clients qui négocient avec les commerçants en sango, la première langue du pays. Les rues de la ville sont bondées, une ambiance chaleureuse et conviviale semble y régner.

L'ancienne "ligne rouge" de Boda, en République centrafricaine ©CCFD-Terre Solidaire

Dasco a été la figure de la réconciliation et du dialogue à Boda. Lui-même musulman et marié à une femme chrétienne, il a été séparé d’elle et de leurs enfants pendant la guerre. Forcé de vivre à l’opposé de la ville sans pouvoir retrouver sa famille, il a décidé de prendre les choses en main. Il a été le premier à avoir osé traverser le pont pour engager le dialogue avec les leaders des différents groupes. Il a risqué sa vie pour la paix, et son courage a porté ses fruits. Grâce à la détermination des militants de la PIJCA, comme Dasco, le dialogue s’est progressivement rouvert et la situation s’est apaisée. Les blessures sont récentes et le chemin vers une paix durable est long, mais le calme est revenu. Jusqu’à Bangui, la capitale, on parle de Boda comme un « laboratoire de la réconciliation ».

Le premier test ne s’est pas fait attendre. En 2021, une nouvelle tentative de coup d’État a eu lieu. Un groupe rebelle mené par l’ancien président a tenté de prendre le contrôle du pays. De nombreuses violences et pillages ont été commis. Pendant plusieurs mois, les rebelles ont établi leur quartier général à Boda et ont tenté de rallier les anciens combattants de la ville à leur cause en leur offrant de l’argent et de belles promesses. Cependant, tous les anciens combattants accompagnés par la PIJCA de Boda ont refusé. Malgré le risque de représailles, aucun d’entre eux n’a repris les armes. Ils s’étaient tous beaucoup investis lors des formations sur le vivre ensemble et des médiations, ils avaient retrouvé leur dignité. Ils ont préféré se réfugier dans la brousse en attendant le départ du groupe armé plutôt que de le rejoindre. Après avoir goûté à la paix, ils ne voulaient plus revenir en arrière.

Le dernier soir à Boda, les bénévoles de l’antenne locale de la PIJCA nous font une surprise : un chant en sango. Il parle de paix et de fraternité.

Les Peuls, autres victimes de la guerre

Malgré les progrès réalisés ces dernières années, une communauté reste largement stigmatisée et exclue : les Peuls.

En quittant Boda, nous passons devant un camp où ils vivent retranchés, juste à l’extérieur de la ville. Nous décidons de nous arrêter pour aller à leur rencontre. Les habitations sont constituées de murs en tôle et les toits sont de simples bâches. Le leader de la communauté nous explique que ce camp était supposé être provisoire. Ils y résident pourtant depuis 10 ans. Les conditions de vie y sont précaires, voire insupportables, comme nous l’ont confié plusieurs habitantes. “Particulièrement pendant la saison des pluies, les bâches s’effondrent régulièrement et nous ne pouvons pas dormir de la nuit”, nous expliquent-elles.

Traditionnellement, les Peuls vivent de l’élevage et du commerce de leur bétail. En raison de leur mode de vie nomade et de leur confession musulmane, ils ont été lourdement stigmatisés et sont devenus des cibles faciles pendant la guerre.

Le camp de réfugiés Peuls de Boda, en République centrafricaine ©CCFD-Terre Solidaire

A Bangui, rencontre avec les anciens combattants

Nous reprenons la voiture pour aller vers la capitale, Bangui, là où tout le travail de dialogue et de réconciliation a commencé, là où tout se joue.

Le trajet du retour est tout aussi mouvementé que l’aller. Nous traversons des énormes nids-de-poule, des ponts et des rivières. Nous nous accrochons fermement en nous laissant porter par les chansons diffusées à la radio. Qu’elles soient en sango ou en français, toutes parlent d’amour et d’espoir.

Arrivés à Bangui, l’atmosphère nous paraît presque irrespirable en raison de la poussière dans l’air. Les rues sont remplies de motos qui circulent à toute vitesse, s’évitant de justesse les unes et les autres. C’est le principal moyen de transport des habitants, qui se faufilent entre les véhicules militaires et les 4×4 de l’ONU.

Judicaël et Carmelle nous emmènent au marché principal de la ville, à PK5, le « quartier musulman ». Comme à Boda, la ville de Bangui était divisée en deux pendant la guerre, personne ne pouvait circuler librement entre les quartiers chrétiens et musulmans.

Nous rencontrons des anciens combattants qui tiennent des boutiques sur le marché. Leur regard est dur et distant, ils n’aiment pas reparler de la guerre, ni même y repenser. Beaucoup en garde des séquelles et des traumatismes, sans aucun accompagnement psychologique. Aidés par la PIJCA, certains revendent des médicaments, d’autres réparent des voitures ou des motos. Tous soulignent les difficultés à retrouver un emploi dans le pays, surtout après avoir combattu. C’est pourquoi l’association les aide dans leur recherche d’emploi, en leur finançant des formations ou en les aidant à ouvrir leur propre boutique. A Bangui comme à Boda, les anciens miliciens accompagnés par la PIJCA n’ont pas repris les armes en 2021.

Champ cultivé par les médiatrices sociales de Bangui, en République centrafricaine ©CCFD-Terre Solidaire

Les femmes sont “l’écho du pays”

Jamila, coordinatrice des médiatrices sociales de Bangui, en République centrafricaine ©CCFD-Terre Solidaire

Aujourd’hui, Djamila est coiffeuse et se bat pour offrir une chance aux femmes de son pays. Elle essaie d’ouvrir un grand restaurant pour les médiatrices sociales. Cela leur permettrait de trouver du travail, de gagner leur vie et de les souder entre elles. Elle souhaite en faire un symbole d’apaisement, réunissant des médiatrices de toutes les religions et communautés. Elle a déjà choisi le nom : Restaurant « Ma grande famille ».

Des femmes qui vendent du café sur le marché de Boda, en République centrafricaine ©CCFD-Terre Solidaire

Ce groupe de médiatrices sociales a vu le jour au sein de la PIJCA en 2015. Beaucoup de jeunes femmes se sont engagées très tôt dans le processus de paix mis en place par l’association, mais elles avaient l’impression d’avoir peu la parole, moins de place que les hommes. Elles ont ainsi choisi de créer leur collectif, afin de pouvoir mettre en place leur propres actions. Djamila nous raconte.

Les femmes sont importantes dans le processus de réconciliation car ce sont elles qui ramènent l’information dans les foyers après le marché. Elles sont l’écho du pays. Mais surtout, les femmes ont un rôle essentiel car la paix, ça commence au sein de la famille.

Djamila, coordinatrice des médiatrices sociales de Bangui

Grâce à leurs actions de médiation, les femmes prennent progressivement une place plus importante dans la société. Au sein de la PIJCA, elles reçoivent non seulement une formation à la gestion de conflit, mais aussi en leadership féminin, entrepreneuriat et droit des femmes. Ces dernières années, plusieurs d’entre elles ont réussi à ouvrir seules leur propre commerce, une grande première.

Ces temps d’échanges et de formations sont également précieux car ce sont les seuls moments où elles peuvent passer du temps entre femmes et partager leurs expériences quotidiennes. Un véritable réseau d’entraide et d’écoute s’est formé, où elles se soutiennent et s’encouragent mutuellement. Malgré les discriminations qu’elles subissent quotidiennement et une condition difficile, elles gardent espoir et se battent pour changer les choses.

Pour aller plus loin, écoutez le reportage réalisé par RCF lors de cette mission.

Laurine Gatefait

Insécurité alimentaire :
un tiers de la population mondiale concerné

juillet 12th, 2023 by

Les indicateurs de la faim et de la malnutrition dans le monde ne sont pas revenus à leur niveau d’avant-Covid constate l’inquiétant rapport Sofi 2023 réalisé par la FAO. En Afrique notamment, l’urbanisation croissante tend à fragiliser encore plus les populations vulnérables.

C’est un ton de déception qui plane sur l’édition 2023 du très attendu rapport annuel Sofi de la FAO : l’agence onusienne pour l’alimentation et l’agriculture espérait que les indicateurs de la faim et de la malnutrition dans le monde, qui avaient bondi de manière très alarmante pendant la pandémie de covid, reviendraient à leur niveau d’avant.

Hélas, il n’en est rien. En 2022, 9,2 % de la population mondiale a souffert de sous-alimentation. Et si le chiffre se stabilise, par rapport à 2021 (9,3 %), c’est bien au-dessus de 2019 (7,9 %).

Ainsi, entre 691 et 783 millions de personnes ont connu la faim l’an dernier, soit 122 millions de plus qu’avant la crise covid — et l’on en attribue que 20 % aux conséquences de la guerre en Ukraine. Près de 30 % de la population mondiale (2,4 milliards de personnes), sont en insécurité alimentaire, d’abord des femmes et des habitants des zones rurales, et 42 % souffrent d’une alimentation déséquilibrée (sous ou sur-poids, maladies, etc.).

30%

De la population mondiale en insécurité alimentaire

9,2 %

De la population mondiale souffre de malnutrition

Les pays où la faim augmente le plus

La situation continue de se dégrader en Afghanistan et au Moyen-Orient, ainsi que dans la Caraïbe, notamment en Haïti. Mais c’est en Afrique que l’insécurité alimentaire augmente et concerne désormais 60,9 % de la population.

En Afrique, l’urbanisation aggrave la crise alimentaire

Le rapport Sofi a mis l’accent cette année sur le phénomène de l’urbanisation, une nouvelle « méga-tendance » dont l’extension tend à estomper la frontière entre la ville et les campagnes environnantes.

Si les évolutions induites sur la demande et  l’offre alimentaire, dans ce continuum, sont déjà bien visibles en Asie et en Amérique latine, elles s’accélèrent désormais en Afrique. L’étude en a analysé les conséquences dans 11 pays de continent, à budget alimentaire élevé (Côte d’Ivoire, Éthiopie, Mali, Nigeria, Sénégal) et bas (Bénin, Burkina Faso, Guinée-Bissau, Malawi, Niger, Togo).

Toujours plus de produits transformés

Et les conclusions viennent percuter l’idée reçue traditionnelle qui voudrait que la part achetée de la consommation alimentaire soit minime pour les ménages les plus ruraux, fréquemment paysans : au sein de la population du continuum rural-urbain, même éloignée d’un centre urbain, les achats alimentaires sont « étonnamment élevés » (plus de 50 %), supérieurs à l’auto-production (de 33 à 37 %), relève le rapport.

Le contenu des « paniers » tend à s’homogénéiser : les aliments transformés sont bien présents dans les marges rurales, même si c’est moins marqué que dans les centres urbains. La part de légumes, fruits, graisses et huiles diffèrent peu entre les différentes zones.

L’alimentation de moins en moins saine dans les campagnes

Cette dépendance croissante aux aliments achetés, dans les zones périurbaines et rurales, éloigne de plus en plus l’horizon d’une alimentation équilibrée. Un régime qui, bien que globalement moins onéreux, reste systématiquement moins accessible que dans les centres urbains, privilégiés par les canaux de commercialisation.

Le rapport a évalué que les ménages à faible revenu devraient doubler leurs dépenses pour s’assurer une alimentation saine, avec des conséquences sanitaires négatives d’autant plus marquées pour les enfants. Pour autant, les zones urbaines, dans plusieurs de ces pays africains, affrontent souvent des problèmes d’insécurité alimentaire modérée ou grave.

Les omissions du rapport SOFI

Si nous partageons le ton alarmiste de la FAO, nous n’en sommes pas moins sévères avec ses recommandations politiques, qui tranchent par leur faiblesse face à l’ampleur du problème.

Lorine Azoulai, chargée de plaidoyer souveraineté alimentaire au CCFD-Terre Solidaire

L’objectif d’éradiquer la faim en 2030, comme souhaité par les Objectifs de développement durable de l’ONU semble s’éloigner définitivement.

En particulier, le rapport omet complètement la responsabilité de la spéculation financière sur la hausse des prix des denrées, qui a été particulièrement élevée en Afrique du Nord et de l’Est.

Par ailleurs, les mécanismes de régulation des systèmes agro-alimentaires ne sont pas évoqués, et l’agroécologie est quasiment absente de préconisations privilégiant le une « innovation technologique » peu compatible avec tout projet de système alimentaire résilient et encore moins souverain pour l’Afrique, entre autres.

Enfin, pas un mot sur l’asymétrie d’un rapport de force qui désavantage lourdement les ménages petits producteurs et les PME face à l’agroindustrie et ses intérêts.

Patrick Piro

Coopération internationale et développement : 11 recommandations au gouvernement

juillet 12th, 2023 by

Le CCFD-Terre Solidaire formule 11 recommandations en matière de développement et solidarité internationale à l’occasion de la réunion du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) le 13 juillet 2023.

C’est pendant la réunion du CICID, sous l’autorité de la Première ministre Elizabeth Borne, que se dessinera la feuille de route opérationnelle de la France en matière de développement et de solidarité internationale pour les prochaines années.

Pour le CCFD-Terre Solidaire, c’est le moment d’appeler à une meilleur prise en compte par le gouvernement des Etats et des populations du Sud.

Si trois semaines après le Sommet de Paris, la feuille de route du CICID ne reflète pas un début de prise de conscience de la nature des attentes exprimées par les pays du Sud, la France aura un problème de crédibilité sur la scène internationale, notamment vis-à-vis de partenaires qu’elle a fait venir en nombre à ce sommet.

Sylvie Bukhary-de Pontual, présidente du CCFD-Terre Solidaire

Découvrir toute la prise de parole de la présidente du CCFD-Terre Solidaire sur le site de La Tribune

A l’occasion de cette réunion, le CCFD-Terre Solidaire a formulé 11 recommandations qu’il a porté à la connaissance des ministères représentés au sein du CICID et aux acteurs institutionnels sur les axes que devraient suivre la politique française sur un certain nombre d’enjeux mentionnés parmi les objectifs affichés à l’issue du Conseil présidentiel pour le développement. 

Une idée de mobilisation pour notre région : le parlement de rue

juillet 6th, 2023 by

Engagé depuis fin 2022 dans une démarche inter-associative en réaction au énième projet de loi Asile et Immigration qui sera voté à l’automne 2023, le CCFD-Terre Solidaire coorganisait samedi 1° juillet dernier une mobilisation de rue à Paris.

Contexte

Le gouvernement français assume une politique migratoire utilitariste, répressive et discriminatoire qui bafoue les droits des personnes exilées. Une politique qui s’illustre particulièrement avec la séquence infinie que nous vivons autour du nouveau projet de loi Asile et Immigration agité par le gouvernement depuis fin 2022.

Le CCFD-Terre Solidaire, avec des collectifs de personnes concernées (collectifs de sans-papiers) et de nombreuses associations telles que la Cimade, le Crid (Collectif d’organisations de solidarité internationale et de mobilisation citoyenne), ou la Fasti (Fédération des Associations de Solidarité

avec Tou·te·s les Immigré·e·s) s’engage contre cette politique. Convaincu qu’une autre approche des migrations est possible, et plus que jamais nécessaire, nous dénonçons et voulons rendre visible le décalage entre les discours et mesures qui vont à contresens des véritables enjeux et besoins des personnes migrantes.

Parlement de rue du 1er juillet

Une mobilisation sous un format inédit s’est tenue le 1er juillet 2023 à Paris : un Parlement de rue des personnes migrantes reposant sur la mise en scène d’une audition en commission et visant à se réapproprier les débats en mettant en leur cœur la parole des personnes concernées. C’est ainsi que cette représentation théâtrale a été entièrement préparée et jouée par des personnes exilées concernées, de façon à faire entendre leur vécu, leurs expériences et leurs revendications. Les sujets abordés, sous une tonalité humoristique et festive mais néanmoins déterminés, ont été choisis collectivement, en fonction des expériences réelles des personnes participant au Parlement de rue et des éléments du Projet de loi :

  • l’accès aux titres de séjour, et l’empilement des conditions restrictives d’accès au séjour,
  • l’accès aux rendez-vous en Préfecture et la dématérialisation,
  • l’absurdité des liens entre accès au séjour et travail,
  • les conditions d’accès à l’asile,
  • l’accès à la formation linguistique,
  • les pratiques d’expulsion, d’enfermement et de criminalisation.

300 à 500 personnes ont assisté à cette première représentation parisienne, notamment grâce à un temps d’interpellation en amont (tractage) pour inviter les passant.es à assister au Parlement de rue. Après la représentation en elle-même (une trentaine de minutes), la Coordination Sans Papiers 75 puis une fanfare ont continué d’animer musicalement la place. Les échanges permettant de sensibiliser le public aux enjeux autour du projet de loi se sont poursuivis de façon informelle et autour d’un village des associations et d’un espace presse.

Un film a été tourné pendant les ateliers de préparation et la mobilisation du 1er juillet, il se veut être à la fois une archive et un outil de sensibilisation. Ce film sera disponible sur le site du Parlement de rue fin août 2023.

Des Parlements de Rue en PACA – Corse ?

Cet évènement du 1er juillet représentait le coup d’envoi d’une séquence que nous aimerions voir durer au moins jusqu’à la fin de l’année 2023. En effet, partout en France, les réseaux du CCFD-Terre Solidaire, les collectifs de sans-papiers et les antennes locales des associations nationales impliquées sont invités à organiser à leur tour des Parlements de rue.

=> A cet effet, un kit de mobilisation ainsi que l’enregistrement d’un webinaire de présentation de ce format de mobilisation sont disponibles sur le site du Parlement de rue.

Vous aimeriez également organiser un Parlement de rue dans vos territoires ? Contactez-nous sur cette adresse : replicationparlementderue@crid.asso.fr

MARSEILLE – Projection, témoignage et débat – « Quand l’Europe ferme les yeux : vie et mort en Méditerranée ». 

juillet 6th, 2023 by

Le 9 juin dernier, à la Valbarelle dans le 11ème arrondissement de Marseille, le CCFD – Terre Solidaire organisait une projection débat autour du reportage – « Quand l’Europe ferme les yeux : vie et mort en Méditerranée », avec la participation et le témoignage d’un membre de SOS Méditerranée.  

Ce reportage à la fois poignant et déchirant suit l’équipe de France 4 à bord de l’Ocean Viking, le navire de sauvetage de SOS Méditerranée qui vient en aide aux migrants, dans des missions de sauvetage heureuses et d’autres tragiques au large des côtes libyennes, tout en observant les interactions entre les autorités et l’ONG. Le visionnage de ces images suscite beaucoup d’émotions et de colère. Le devoir de secourir sans délai les personnes en détresse en mer est une règle fondamentale du droit maritime international et constitue un impératif juridique et humanitaire. Pourtant, et le reportage le montre bien, l’union Européenne et ses états ne font rien. Au contraire, l’UE concentre ses efforts à sécuriser ses frontières extérieures en poursuivant une politique d’externalisation du fait migratoire (Frontex, lien avec la Lybie et la Turquie). En Méditerranée, les années passent et rien ne change, ou presque. Année après année, elle reste la route migratoire la plus dangereuse au monde, avec le taux de mortalité le plus élevé. C’est inacceptable – et c’est pourquoi le CCFD-Terre Solidaire appelle l’Union Européenne à prendre ses responsabilités en vertu du droit international, à faire preuve d’humanisme et de solidarité, autant entre les Etats membres qu’envers les personnes cherchant à trouver refuge sur son territoire, afin d’apporter une réponse coordonnée et respectueuse des droits humains aux arrivées de personnes migrantes sur son territoire. 

En réaction au visionnage, un des participants, Cékou, a témoigné de son vécu : il avait lui-même emprunté ces routes dans son parcours de migration du Niger à la France, en passant par le Sahara et la méditerranée. Son sauvetage par un bateau de pêche avait mis fin à son parcours de migration qui a duré plus d’un an. Il suit maintenant ses études à Aix en Provence.

Ce partage d’expérience précieux a été accueilli avec émotion par les participant.es. Suite à cela, plusieurs interventions se sont succédées en réaction au reportage et au témoignage : l’inaction de l’Europe, la mauvaise foi de FRONTEX, les dernières tragédies qui nous ont tous bouleversés récemment… La soirée s’est terminée autour d’un repas partagé, durant lequel nous avons tenu à remettre la cagnotte récoltée à l’étudiant d’Aix en Provence. 

Migrations : au Sénégal, lutter contre les drames en mer #JEUDIPHOTO

juin 29th, 2023 by

C’est l’histoire de deux hommes, un père et un fils, originaires de Mbour au Sénégal. Après avoir connu le danger sur la route migratoire en mer, ils ont réussi à se construire un avenir dans leur ville d’origine grâce à l’accompagnement de notre partenaire local, l’Association Nationale des Partenaires Migrants (ANPM).

© Clémentine Métenier

Sénégal, 2023 © Clémentine Méténier.

Nous sommes à Mbour, deuxième port de pêche du Sénégal. Dans la maison parentale, Khalifa écoute avec attention son père Adama qui fait le récit de ses “échecs migratoires“. Comme beaucoup de jeunes ici, Khalifa partage une histoire similaire et se reconnaît probablement dans les mots de son père. La petite fille qu’il tient dans ses bras, elle, a d’yeux que pour les pigeons d’élevage d’Adama, qu’elle observe battre de l’aile dans leurs grandes cages. Après avoir traversé vents et marées, les deux hommes se réjouissent aujourd’hui de pouvoir être réunis.

Khalifa est né à Mbour. Dans cette ville de pêcheurs, il était habitué à l’effervescence des pirogues remplies de poissons qui accostaient sur la plage. Mais la surpêche et l’arrivée des chalutiers étrangers ont rapidement épuisé les ressources halieutiques, impactant l’emploi et la sécurité alimentaire. Mareyeur, Khalifa ne parvient plus à vivre de son métier. Alors, comme son père jadis, il monte dans une pirogue de fortune direction l’Espagne. Après 13 jours de traversée, la centaine de passagers à bord se retrouvent perdus en mer et sans provisions, avant d’être secourus et reconduits par un chalutier.

J’ai perdu beaucoup d’amis en mer. Mais quand tu n’as plus d’espoir, tu es prêt à tout.

Khalifa

À Mbour, le nombre de départs a considérablement augmenté depuis 2006. Et le nombre de drames en mer, aussi. Pour endiguer l’afflux migratoire, les gardes-frontières européens ont renforcé leur présence maritime, poussant les personnes migrantes à se mettre toujours plus en danger. En 2021, 124 naufrages ont eu lieu sur la route migratoire des Canaries. Quant aux personnes interceptées et reconduites, elles se retrouvent bien souvent délaissées par l’État sénégalais.

Face à cette situation, l’ANPM accompagne les personnes migrantes, candidates au départ ou refoulées, via des projets de réinsertion. Adama a été l’un des premiers bénéficiaires en 2006. Il est aujourd’hui Président du groupement d’intérêt économique de Mbour. Khalifa a lui aussi été accompagné par l’association à son retour. Il s’est formé à l’élevage et possède aujourd’hui une petite étable qui lui permet de vivre avec sa femme et sa fille.

Pour aller plus loin :

La société civile fait preuve de résilience en Birmanie

juin 23rd, 2023 by

Découvrez la situation actuelle des organisations de la société civile en Birmanie face à la junte. Marion Tertre, chargée de mission Asie au CCFD-Terre Solidaire, Sue, chargée de projet pour Spirit in Education Movement (SEM) et Élisabeth Pommelet, bénévole au CCFD-Terre Solidaire interviennent toutes pour nous expliquer.

Un pays au potentiel brisé par les fragilités démocratiques

Pourtant riche en ressources naturelles, la Birmanie est l’un des pays les plus pauvres d’Asie. Avant 2010, le pays figure même parmi les pays les plus fermés au monde. En effet, la situation politique actuelle est le produit d’une histoire complexe et souvent violente. Une succession de coups d’État paralyse le développement du pays depuis les années 60. Si ce dernier connaît une rare période de stabilité et de transition démocratique à partir de 2011, celle-ci prend rapidement fin avec un coup d’État en février 2021, qui plonge la Birmanie dans un énième conflit.

Ce coup d’État survient à la suite des élections législatives birmanes de novembre 2020, largement contestées par le pouvoir militaire. A cette occasion, la Ligue Nationale pour la Démocratie, menée par Aung San Suu Kyi, marque une victoire écrasante, remportant 82% des voix. Refusant de reconnaître le résultat de l’élection, le pouvoir militaire, déjà très puissant dans le pays, prend le pouvoir dans la nuit du 31 janvier au 1er février 2021.

Une résistance florissante face à un conflit généralisé

Contrairement aux conflits précédents, le conflit actuel est étendu à l’ensemble du pays et touche toutes les ethnies. En plus de la diminution logique de la production agricole du pays en raison des affrontements, la junte, accusée de crime international par l’ONU, met en œuvre une politique de terre brûlée visant à éradiquer villages et champs. Le gouvernement militaire adopte cette stratégie dans le but d’affamer la population, réduire la résistance et établir son autorité en contrôlant l’approvisionnement alimentaire.

Cette volonté de la junte de contrôler les vivres et d’affamer sa population n’est pas nouvelle. Ce qui est nouveau est qu’elle est ciblée contre toutes les populations du pays.

Marion Tertre, chargée de mission Asie au CCFD-Terre Solidaire

Pourquoi la communauté internationale n’intervient-elle pas ?

Bien qu’étant retourné à son ancien statut de “pays ermite” du fait de nombreuses sanctions internationales, le gouvernement birman bénéficie d’un énorme appui de la part de la Russie, qui soutient économiquement et commercialement le pays, notamment par le commerce d’armes. La junte perçoit également une aide de la Chine, même si cette dernière est difficile a nuancer et complexe à analyser.

Une société civile réactive face à l’oppression de la junte

Alors que des actions d’urgence ont été mises en place au lendemain du coup d’État en 2021, les organisations de la société civile travaillent aujourd’hui davantage sur le temps long, sur la résilience des communautés. Ce qui a été acquis durant la décennie d’ouverture entre 2011 et 2021 est maintenant mobilisé par les ONG locales : agroécologie, jardins partagés, … même les petites initiatives permettent de faire la différence face aux ambitions du régime de couper toute ressource alimentaire.

C’est dans ce contexte de menace sécuritaire et de volonté de la junte d’isoler les associations de la communauté internationale qu’opère SEM, partenaire du CCFD-Terre Solidaire depuis 1996. Le but principal de l’association est de construire la paix entre les communautés pour qu’ils puissent mieux faire face à la situation actuelle. “Nous essayons d’atteindre les consciences et d’améliorer les aptitudes des chefs communautaires, ainsi que des chefs religieux.” nous confie Sue, chargée de projet pour SEM. L’approche utilisée est l’intradialogue, qui se décline au travers de formations et workshops pour les leaders, qui peuvent ensuite en faire bénéficier leur propre communauté. Presque deux ans et demi après la prise de pouvoir de la junte au profit du gouvernement démocratiquement élu, le travail de SEM auprès des leaders communautaires revêt aujourd’hui une importance capitale.

Pour aller plus loin :

Comprendre le sommet pour un nouveau pacte financier mondial en 3 min ( et + si affinités)

juin 20th, 2023 by

Il y a un réel enjeu à réformer une architecture financière mondiale injuste et inefficace. Mais le sommet convoqué le 22 et 23 juin 2023 à Paris par Emmanuel Macron a déçu. On vous explique pourquoi en quelques questions qui introduisent une note explicative beaucoup plus détaillée

Quel est ce sommet pour un nouveau pacte financier mondial organisé par la France?

C’est lors de la COP 27 qu’Emmanuel Macron a annoncé la tenue d’un sommet sur un « nouveau pacte financier mondial» avec le Sud, à Paris, les 22 et 23 juin 2023.

En toile de fonds, la décision historique lors de la COP 27 de créer un fonds pour financer les « pertes et préjudices » liés aux dérèglements climatiques subis par les pays du Sud. Dans ce contexte, le président Emmanuel Macron a affiché son ambition de marquer un temps fort à Paris sur la question de la solidarité financière avec les pays du Sud.

Il s’agit de lier les besoins de financement pour le développement à ceux du dérèglement climatique.

Pour la France, l’objectif était d’impulser une véritable réforme de l’architecture économique mondiale, en invitant des dizaines de chefs d’Etat à Paris pour donner un coup d’envoi et de l’ampleur à ces réformes.

C’est quoi le problème avec ce nouveau pacte financier mondial?

Si l’on pouvait se réjouir sur le principe de l’organisation d’un sommet sur les enjeux de financement, pour impulser des décisions politiques, le cadrage donné par la France au financement du développement dans ce sommet était à la fois limité et problématique. Et les pays du Sud étaient encore une fois largement absents des négociations.

Pas de réelle réforme de l’architecture financière mondiale au menu

Les sujets centraux de l’architecture économique mondiale n’étaient pas réellement à l’agenda, et en premier lieu :

  • Les enjeux de la résolution des crises de la dette
  • La réforme du système fiscal international

Les questions de la dette et de la réforme du système fiscal international sont pourtant essentiels pour les pays du Sud et largement mis en avant par eux.

Les grands oubliés du pacte financier mondial : les principaux concernés

Les discussions étaient avant tout menées par la France avec la participation des Etats du G7 et du G20. Quelques pays du Sud ont participé à des groupes de travail préparatoires au sommet mais dans l’ensemble ils sont largement absents de ces discussions, sur des décisions qui les concernent directement.

En ce sens, ce sommet renforce un modèle de gouvernance internationale sur les enjeux économiques dont les pays du Sud sont largement exclus et qui va à l’encontre de leurs intérêts.

Les principales décisions sur les questions économiques mondiales ont lieu dans le cadre de « clubs fermés » de pays riches, desquels les pays du Sud sont exclus : G7, G20, Club de Paris, OCDE, FMI et Banque mondiale. 

Lire aussi la réaction du réseau latino-américain Latindadd, sur les propositions de réforme de l’architecture financière internationale

Et si on réformait vraiment l’architecture financière mondiale?

L’architecture financière internationale n’est pas adaptée pour répondre aux défis du XXIe siècle, ni pour les peuples ni pour la planète.  

Lison Rehbinder, chargée de plaidoyer justice économique au CCFD-Terre solidaire

Les réformes nécessaires pour une véritable réforme de l’architecture financière internationale sont pourtant connues .

4 réformes nécessaires pour un réel nouveau pacte financier mondial :

  • Démocratisation des espaces de gouvernance économique, pour que les pays du Sud soient enfin associés aux décisions
  • Réformes de l’architecture de la dette
  • Réforme du système fiscal international
  • Réforme des institutions financières internationales. 

Le CCFD-Terre solidaire a décrypté dans une première note diffusée en amont du sommet certaines questions centrales au cœur du sommet de juin 2023. Il propose des mesures visant à réformer le système économique mondial, pour qu’il soit au service des peuples et de la planète. 

Le Bilan du sommet pour un nouveau pacte financier

Après avoir suivi de près ce sommet et ses travaux préparatoires, le CCFD-Terre Solidaire dresse un bilan détaillé de l’organisation et des résultats du sommet pour un Nouveau pacte financier mondial dans la note ci-dessous :

Rejoindre notre combat en faveur de la justice économique

Sarah Woodrow-Picot, chargée de communication campagnes

juin 18th, 2023 by

Sarah est chargée de la communication des campagnes du CCFD-Terre Solidaire. En quoi cela consiste ? Elle nous explique son métier au quotidien. 

Au sein de la Direction de la Communication et de l’Information, Sarah s’occupe de la coordination des campagnes. 

Au quotidien, Sarah travaille avec de nombreux collègues et des prestataires tels que des agences de communication pour mettre en place nos campagnes de collecte de fonds, de notoriété et de recrutement de bénévoles. 

J’ai choisi de travailler au CCFD-Terre Solidaire, parce que ça me permet à la fois de travailler dans le secteur de la communication et au quotidien et ça me permet d’apporter beaucoup de sens à mon métier car je travaille pour une cause qui me parle, c’est-à-dire le développement et la protection des droits humains

Sarah Woodrow-Picot